Troisième article de la série (après Intelligence artificielle : Un train peut en cacher un autre… et Quand faut-il utiliser une approche ML uniquement pour optimiser ? Réponse : jamais ! Vraiment ? Vraiment !) où je continue de développer l’approche hybride ML (machine learning) et OR (operations research). Cette fois-ci, je décortique pourquoi les compagnies ont plus besoin d’une approche prescriptive que prédictive[1].
Commençons par une simple question. Que choisiriez-vous entre deux systèmes ? Le premier permet de prédire l’avenir. Le second permet de prendre des décisions éclairées pour atteindre vos objectifs. A priori, connaître l’avenir est un atout majeur. Mais en réfléchissant bien, le deuxième système ne permet-il pas d’aller plus loin ? Que préféreriez-vous ? Savoir qu’une pénurie s’en vient ou bien éviter cette pénurie ? Telle est la différence fondamentale entre les deux approches…
Prédictif versus prescriptif ?
Gartner a proposé (You’re likely investing a lot in marketing analytics, but are you getting the right insights?) une découpe entre différentes approches analytique pour résoudre des problèmes industriels complexes. Il y a essentiellement quatre types d’analyse qui correspondent à autant de questions et que l’on peut voir comme une progression de notre compréhension et capacité d’agir dans un processus industriel complexe :
- l’analyse descriptive : « Qu’est-ce qui s’est passé? ».
Rassemblez les données et sachez ce qui s’est passé et ce qui se passe. Il s’agit d’une analyse passive dans le sens où vous vous contentez de rassembler des données et ne prenez aucune mesure.
- l’analyse diagnostique : « Pourquoi cela s’est-il produit ? ».
Essayez de comprendre pourquoi ce qui s’est passé s’est produit. Cette étape vous permet d’obtenir des informations sur vos processus et de les corriger si nécessaire. Cette analyse est active car vous essayez de comprendre et de modifier vos processus.
- l’analyse prédictive : « Que va-t-il se passer ? ».
Essayez de prédire un avenir incertain en vous basant sur vos connaissances passées et actuelles. Cette analyse est également passive dans le sens où vous ne faites que prédire l’avenir, mais n’intervenez pas dans celui-ci.
- l’analyse prescriptive : « Quelle est l’action optimale à mener ? ».
Maintenant que nous pouvons prévoir ce qui va probablement se passer, essayons de changer l’avenir pour le mieux. Une analyse proactive où vous utilisez des outils analytiques pour vous aider à prendre les meilleures décisions.
Ces quatre types d’analyse sont essentiellement les approches analytiques à notre disposition pour résoudre des problèmes industriels complexes. Elles sont indépendantes d’une technologie spécifique mais deux technologies sont particulièrement propices pour les approches prédictive et prescriptive : l’apprentissage automatique et la recherche opérationnelle respectivement.
L’approche prédictive et l’apprentissage automatique
Il y a plusieurs façons, non exclusives, de faire des prédictions grâce aux outils analytiques. Une des plus en vogue est l’apprentissage automatique (machine learning). De multiples succès dans des domaines très divers attestent des succès d’un certain type de prévisions, que ce soit la reconnaissance d’objets et d’individus sur des images ou vidéos, ou bien la détection/compréhension de mots dans des phrases et la génération de textes notamment pour des traductions, l’apprentissage machine a pu franchir certaines barrières qui paraissaient insurmontables auparavant.
Souvent, le système se base sur des données historiques existantes (données/data) pour pouvoir faire ses prédictions. Dans le cas de l’apprentissage automatique, il faut en général beaucoup de données et beaucoup de données de bonne qualité.
L’approche prescriptive et la recherche opérationnelle
Ici aussi, les outils analytiques sont multiples. La recherche opérationnelle (operations research) est connue et souvent utilisée pour développer l’approche prescriptive. Les succès sont au rendez-vous et plusieurs industries ne fonctionneraient plus sans la recherche opérationnelle tant cette dernière est devenue indispensable par sa capacité d’optimisation de certains processus. Citons par exemple la planification (ordonnancement) des équipes de vol pour les compagnies aériennes ou bien l’optimisation des tournées de véhicules pour la livraison.
Souvent, le système va modéliser un certain savoir-faire (connaissance/knowledge) pour faire ses optimisations. Dans le cas de la recherche opérationnelle, il faut une bonne compréhension des problématiques industrielles à résoudre.
L’approche prescriptive comme changement de paradigme
Dans l’approche prédictive, nous construisons des systèmes qui reçoivent des inputs et qui doivent calculer un output correspondant, la plupart du temps avec une certaine probabilité. Prenons la détection de chats sur des photos par exemple. Vous soumettez une photo et le système détectera (prédira) si oui ou non il y a un ou plusieurs chats sur cette photo avec une certaine probabilité.
Dans l’approche prescriptive, c’est en quelque sorte l’inverse qui est fait. Nous construisons des systèmes auxquels nous donnons des objectifs à réaliser, c’est-à-dire que l’input est en fait l’objectif désiré et c’est le système qui va nous donner l’input nécessaire pour y parvenir. Reprenons l’exemple du chat sur les photos. Notre input – notre objectif – est d’obtenir la reconnaissance des chats avec disons une précision (accuracy) de 80% et plus[2]. Prenons encore un autre exemple pour mieux illustrer les deux approches. Imaginons que nous cherchons à calculer le plus court chemin entre deux villes. Dans l’approche prédictive, nous donnons des (bouts de) chemins et le système retournera une prédiction de la distance entre les deux villes. Dans l’approche prescriptive, le système retournera le ou les chemins les plus courts si on exige d’obtenir ceux-ci.
Comment augmenter ses ventes ?
Pour bien faire comprendre la différence entre les deux approches, prenons un exemple qui je l’espère pourra clarifier la philosophie distincte des deux approches. L’exemple choisi porte sur l’augmentation des ventes mais les arguments développés ici sont pertinents pour n’importe quel objectif souhaité.
Commençons par l’approche prédictive pour aborder l’approche prescriptive par après.
L’approche prédictive
L’approche prédictive se concentrera essentiellement sur l’étude des meilleurs vendeurs et ce qu’ils font. Par exemple, la façon dont ils vendent tel ou tel produit et comment ils le vendent. Des éléments externes (le temps, la saison, les modes, …) pourront être pris en compte et raffineront l’analyse. Une fois ces éléments déterminés, on essayera de les transmettre à tous les vendeurs pour qu’ils soient tous aussi performants.
Cette approche peut paraître séduisante à première vue mais est en fait assez décevante dans la pratique. Tout d’abord, on ne peut inculquer une façon de faire à tous les vendeurs. Chaque vendeur à sa propre personnalité, ses repères, sa façon d’opérer, etc. Il y a certainement des éléments qui peuvent se transférer d’un vendeur à un autre mais on peut difficilement complètement changer ceux-ci. Ensuite, il se peut très bien que les meilleurs vendeurs soient meilleurs non parce qu’ils sont bons mais parce qu’ils sont sur les meilleurs coups : les meilleurs clients, le bon timing, les meilleurs produits, etc. De plus, la plupart du temps, les vendeurs sont payés à la commission. Plus ils vendent, plus ils touchent des commissions. A priori, les objectifs des vendeurs et de la compagnie sont alignés mais on peut démontrer qu’il existe des stratégies collectives où les vendeurs gagnent moins collectivement mais où la compagnie vend plus globalement. Finalement et c’est sans doute le point le plus important, l’approche prédictive ne permet que de reproduire des comportements existants et non pas d’innover véritablement avec la mise en place des stratégies de vente complètement nouvelles.
Dans les faits, l’approche prédictive permettra peut-être des gains de l’ordre de 5%-10%[3].
L’approche prescriptive
L’approche prescriptive se concentrera plutôt sur des stratégies collectives de ventes suivant les connaissances existantes des experts sur le marché (y compris des vendeurs) mais aussi les historiques des meilleurs vendeurs comme dans l’approche prédictive. En fait, l’approche prescriptive utilise et englobe en quelque sorte l’approche prédictive. Elle apporte un nouvel éclairage et ajoute des éléments supplémentaires. Par exemple, on peut y inclure l’épineuse question de la fragilité de l’approvisionnement de la part d’un ou plusieurs fournisseurs importants. Que se passerait-il si ceux-ci ne respectent pas un contrat? On peut aussi y inclure une analyse de risque ou de sensitivité. Quels sont les risques s’il n’y a que trois fournisseurs mondiaux qui seraient à même de satisfaire la demande? Que se passerait-il si un fournisseur baisse ou augmente sa production?
L’approche prescriptive permettra de suggérer des prises de décisions et donc des actions à prendre en tenant compte de différents scénarios possibles. Elle pourra même suggérer des combinaisons surprenantes qui n’ont jamais été tentées auparavant!
Dans les faits, l’approche prescriptive permettra peut-être d’atteindre des gains de l’ordre de 20%-40%[4].
Prédictif versus prescriptif, prise deux
Si la découpe entre les 4 approches analytiques proposée par Gartner a le mérite de poser un jargon et des jalons à suivre, elle n’est qu’approximative car toutes ces approches se basent les unes sur les autres et s’entremêlent. En effet, par exemple, comment faire une évaluation de la situation sans pouvoir prédire ce qui va se passer ? Ou bien optimiser sans pouvoir évaluer la situation ? En fait, la bonne approche est de construire des systèmes basés sur les 4 approches analytiques en continu, c’est-à-dire des systèmes qui posent les 4 questions continuellement et se basent sur les réponses aux questions précédentes pour répondre au questions suivantes tout en apprenant automatiquement et continuellement comme illustré sur la figure suivante :
Pour ce faire, la combinaison de différentes technologies – en particulier l’apprentissage automatique et la recherche opérationnelle – est essentielle!
Et qu’en est-il des prédictions? C’est certainement l’analyse prédictive qu’il faudrait utiliser, non? Même pour faire des prédictions, l’approche prescriptive est meilleure. Elle permet notamment d’englober des informations externes aux données comme nous l’avons vu. Informations qui peuvent s’avérer capitales dans la recherche de bonnes prédictions.
Il y a aussi un autre point extrêmement important à ne pas perdre de vue dans ces temps turbulents : nous vivons dans une société de plus en plus imprévisible. Vous pouvez faire toutes les prédictions et suggestions de prises de décision que vous voulez, si vous ne tenez pas compte d’impondérables (par exemple la venue de la pandémie de la COVID), vous serez dans le champ !
Comme nous l’avons vu plus haut, nous avons besoin de prédictions mais aussi et surtout de suggestions de prise de décisions, ce que permet l’approche prescriptive.
Dans un prochaine article, je décrirai comment combiner d’au moins 4 façons différentes l’apprentissage automatique et la recherche opérationnelle avec des exemples concrets.
[1] Je dois faire une mise en garde. J’essaye dans cet article de faire comprendre dans les grandes lignes ce que sont les approches prédictive et prescriptive et en particulier l’utilisation de l’apprentissage machine pour la première et de la recherche opérationnelle pour la seconde mais dans la réalité les frontières entre les approches et les domaines sont parfois floues. Donc, je brosse à gros traits des tendances pour mieux faire comprendre les différences fondamentales et surtout pour expliquer pourquoi une approche hybride combinant l’apprentissage automatique avec la recherche opérationnelle est si efficace aussi bien en théorie que dans la pratique.
[2] Comment y arriver ou même savoir s’il est possible de construire un tel système dans le cas du présent exemple n’est pas important pour la compréhension de l’approche prescriptive. Il existe plein de problématiques où l’approche prescriptive est non seulement possible mais donne des résultats probants.
[3] Par rapport à un processus ne bénéficiant pas de cette approche. C’est une estimation – très sommaire – de la part de l’auteur.
[4] Par rapport à un processus ne bénéficiant pas de cette approche. C’est une estimation – très sommaire – de la part de l’auteur mais qui se base aussi sur des projets concrets menés par Funartech.