Il existe des machines ou programmes nous aidant au processus de création artistique, des groupes de musique qui peuvent jouer de façon autonome grâce à la programmation et même des programmes destinés à identifier les contrefaçons par l’IA. La robotique s’invite de plus en plus dans le monde de l’art. Mais qu’en est-il de l’affranchissement du robot en tant qu’artiste à part entière ? Le robot peut-il faire preuve de créativité pour produire ses œuvres d’art ou est-il condamné à rester un moyen dont disposent les artistes humains pour aller plus loin dans le processus de création ?
Le robot est-il un simple moyen de faire de l’art ?
Patrick Tresset a imaginé ses robots comme une continuité de son travail artistique. Ne pouvant plus dessiner lui-même, il a fait appel à la technologie comme moyen d’expression artistique. Il a alors eu l’idée de créer des robots capables de reproduire un objet réel avec un style précis. Ceux-ci sont munis de deux caméras, d’un bras articulé utilisant un outil et d’une IA programmée pour interpréter ce qui est observé par les caméras sous la forme d’un dessin. L’algorithme à l’origine de cette interprétation fait que chaque dessin est original, inédit et n’aurait peut-être jamais été pensé s’il n’avait pas été créé par l’intelligence artificielle.
Cet exemple nous montre que si l’artiste possède le contrôle sur l’ensemble du processus de programmation, le résultat final reste malgré tout, imprévisible… Il y a d’ailleurs de fortes chances pour que le spectateur ne se doute pas que ces dessins aient été réalisée par un robot puisqu’ils n’ont rien à voir avec des dessins produits en séries. En revanche, il est à noter que ces robots nécessitent l’intervention humaine pour se mettre à fonctionner. Ils ne sont pas autonomes dans le processus de création. Qui créé alors l’œuvre, l’artiste qui programme le robot ou le robot qui réalise le dessin ?
Le robot artiste peut-il s’émanciper en passant d’outil à créateur ?
Certains robots sont capables d’autonomie et d’improvisation à l’image d’Ai-Da, qui peut rédiger un poème et le réciter seule ou bien de Shimon qui compose, joue et improvise ses propres morceaux de musique. Comment fonctionnent-ils ?
Les robots dotés d’intelligence artificielle fonctionnent en machine et deep-learning, c’est-à-dire qu’ils utilisent une banque de données dont ils vont s’inspirer pour produire une œuvre. Ils se servent alors du hasard offert par les algorithmes. De fait, ils vont pouvoir recombiner des formes, des styles et des composants existants puis s’en servir pour faire preuve de créativité dans une interprétation artistique unique. En cela, ces robots ne peuvent plus être considérés comme de simples outils. Ils deviennent créateurs étant donné qu’ils utilisent une forme de créativité pour produire un contenu artistique, sans que l’homme n’intervienne dans le processus.
Pour autant, si cette créativité doit toujours être nourrie par une base de données, n’est-ce pas une limite par rapport aux artistes humains ? André Malraux déclarait que « L’art est le plus court chemin de l’homme à l’homme ». A vrai dire, les artistes s’inspirent nécessairement de ce qui les entourent pour créer : de la nature, de la culture, des relations sociales, de leurs expériences personnelles, etc. On pourrait donc parfaitement rapprocher ce fonctionnement à celui des robots artistes. La seule limite
serait peut-être d’alimenter les IA avec des bases de données restreintes à une culture, un seul pan de l’histoire de l’art (occidental par exemple). Cela nous questionne dès lors sur la disposition d’un robot à pouvoir créer des liens grâce à une inspiration inépuisable, comme le ferait l’artiste.
Un robot peut-il vraiment créer une œuvre d’art ?
Il semblerait que la création artistique ne se borne pas au processus de création. Le processus de réalisation compte également. Pour Laurence Devillers, « les robots ne comprennent rien à ce qui se passe autour d’eux. Ils n’ont pas d’avis personnel, pas d’intuition, pas d’affordance [capacité d’un objet à évoquer son utilisation pour la rendre intuitive] ». Cela signifie que l’artiste ne se réduit pas à appliquer une technique ou un style artistique. Il existe aussi une intuition, une intention, un certain génie artistique à l’origine d’une œuvre d’art. Et les robots n’ont pas de telles perceptions.
Mais si l’on se contente du point de vue du spectateur, cette affirmation est-elle justifiée ? Est-ce qu’une œuvre d’art produite par un robot aurait moins de sens qu’une œuvre produite par un artiste ? Selon Francastel « le domaine de l’art, ce n’est pas l’absolu, mais le possible ». En réalité, il n’existe peut-être pas de définition catégorique dans laquelle situer les œuvres d’art. C’est en tout cas ce que tendent à questionner les évolutions de la robotique et de l’IA dans le monde de l’art. Les créations artistiques des robots ne sont pas moins dénuées d’émotions ou de questionnements que les œuvres d’artistes humains reconnus en tant que tels. Ils nous offrent un art différent, dont la logique est inaccessible, mais qui peut néanmoins évoquer des concepts, des idées, alimenter des réflexions ou simplement se donner à voir et apprécier.
Finalement, les robots ne peuvent remplacer fondamentalement les artistes qui auront toujours leur place grâce à leurs réflexions, leurs discours, leurs interprétations personnelles du monde. La créativité des artistes ne s’exprime pas seulement dans la pratique qui n’est que la partie visible. Ils intériorisent également une grande partie de ce processus pour alimenter leurs œuvres. Ce qui est certain par contre, c’est que les robots dessinent un futur où les œuvres d’art pourraient coexister, qu’importe si elles ont pour origine une créativité humaine ou celle d’une intelligence artificielle.
Sources :
TRESSET Patrick, La Grande Vanité au corbeau et au renard, 2018
DEVILLERS Laurence, Des Robots et des hommes, 2017
FRANCASTEL Pierre, Art et technique aux XIX° et XX° siècles, 1956, p. 12.