En 2019, la DARPA lançait une compétition nommée SubT Challenge, dont le but était de réaliser des équipes de robots autonomes et intelligents capables de réaliser des missions complexes dans un environnement incertain. En particulier, les environnements pris en compte concernaient des domaines sous-terrains où il est impossible de conserver une liaison avec la station sol et donc de contrôler manuellement les robots. L’objectif est multiple pour la DARPA. Au-delà des applications évidentes et directement liés aux trois environnements sous-terrains proposés (notamment de la recherche et sauvetage), le fait de disposer d’équipes de robots (y compris de drones) autonomes collaboratifs peut constituer un atout de poids dans des domaines industriels aussi bien que militaires. Les États-Unis ne sont d’ailleurs pas les seuls à s’intéresser à la question. L’Europe travaille sur des projets similaires dans le cadre de projets collaboratifs comme ASSISTANCE sur la partie recherche et sauvetage, RAPID sur la partie industrielle et MGCS et SCAF en ce qui concerne le militaire. Le projet de DARPA a cependant ceci de particulier qu’il s’agit d’une compétition en conditions réelles, laissant la part belle à la créativité des équipes participantes.
Des environnements différents, une philosophie commune
Afin de tester les capacités des équipes de robots constituées pour le challenge, la DARPA a proposé une compétition en trois temps, avec trois environnements sous-terrains: un système de tunnels, un environnement urbain sous-terrains (comprenant des métros etc.) et un réseau de grottes. La DARPA a réalisé une présentation de chacun des environnements:
Le but est de pousser les équipes à travailler sur des concepts qui soient assez polyvalents pour traiter ces trois environnements. En effet, chacun a ses particularités : les tunnels sont poussiéreux, ce qui peut avoir des conséquences sur les caméras, tandis que l’environnement urbain peut comprendre beaucoup d’obstacles artificiels, des escaliers etc. Enfin, les grottes constituent un environnement très vertical, où il peut être très compliqué de se déplacer, notamment pour des robots terrestres.
Dans tous les cas, La compétition consiste à trouver des objets (artefacts) qui sont éparpillés dans l’environnement, à les identifier et à les localiser à 5m près. La compétitions propose deux possibilités: une voie “virtuelle”, qui se fait sur un environnement simulé en constituant une équipe à partir d’une liste de modèles préétablie et une voie “système” qui se fait avec de véritables robots. Dans les deux voies, les robots doivent être capables d’accomplir leur mission de manière complètement autonome, c’est à dire sans aucune intervention humaine, ni dans le contrôle des robots, ni dans leur organisation. Pour y parvenir, les équipes, 17 sur le dernier parcours, doivent allier plusieurs blocs, leur permettant à la fois d’explorer l’environnement de manière efficace, de faire de la vision par ordinateur, voire de la fusion d’information et de la localisation, autant de domaines qui touchent aussi bie à la robotique qu’à l’Intelligence Artificielle. Les équipes sont autorisées à utiliser différents types de robots selon le parcours, et les robots peuvent communiquer. On retrouve donc des problématiques très diverses, allant de la planification multi-agents à la navigation, en passant par de la reconnaissance d’image et de la fusion de données.
Une fin de compétition altérée par le CoVid
Les compétitions sur les deux premiers environnements ont eu lieu respectivement en août 2019 et en février 2020. Le dernier environnement, les grottes, sera testé en 2020 mais en raison de la situation sanitaire actuelle seule la voie virtuelle est conservée pour cet environnement. Une dernière étape, incluant les trois environnements, devrait avoir lieu début en août 2021.
Les équipes se sont greffées les unes après les autres au fur et à mesure que la compétition avançait, certaines financées directement par la DARPA, d’autres non. Les équipes impliquent des chercheurs des universités les plus prestigieuses allant de Carnegie-Mellon au MIT, en passant par des universités européennes (par exemple ETH Zurich) ou même asiatiques (comme la KAIST de Corée du Sud ou la NCTU de Taïwan). On retrouve aussi un certain nombre d’entreprises, participant soit avec des universitaires soit seules, et même des individus isolés. Dans les deux étapes qui ont eu lieu, un trio de tête qui se dispute les places sur le podium se détache dans la compétition physique suivi par trois autres équipes se disputant le milieu du classement. Dans la partie virtuelle, ce sont deux compétiteurs qui se détachent très largement du reste des concurrents. Il est intéressant de noter qu’on retrouve un travail avancé de recherche sur tous les domaines précédemment cités (coordination, SLAM collaboratif, capteurs, vision par ordinateur) dans chacune des équipes participantes. Cela signifie aussi la collaboration de nombre de chercheuses et de chercheurs sur divers domaines, comme le montre la taille des équipes dans le trio de tête. Au niveau des machines, on retrouve en général à la fois des machines terrestres et des drones, qui permettent une exploration de domaines différents. Au-delà de ça, il y a beaucoup de différences entre les équipes: on retrouve des robots dotés de roues, de pattes ou de chenilles, des drones à voilure tournante classiques, des rollercopters, et même des ballons, utilisés pour leur longévité.
Au-delà des équipes en tête, la compétition, qui s’inscrit dans une suite de compétitions du même genre lancées par la DARPA, a permis de mettre en place des interfaces accessibles afin de concevoir des solutions de systèmes multi-robots (Mutli-Robot Systems ou MRS en anglais), ainsi que créer des environnements virtuel réalistes. Le simulateur utilisé dans la voie virtuelle, Gazebo, peut s’interfacer avec ROS (Robotique operating System) et permet ainsi de passer facilement de la simulation à l’implémentation sur un véritable robot.
La compétition a aussi permis de mettre en évidence les problématiques liées à ces systèmes. Au-delà des problématiques classiques liées à la robotiques – précision de mesure, de déplacement, contrôle, etc – sont venus s’ajouter les problèmes proprement liés à la détection (Vision par ordinateur, fusion de données) et à l’algorithmique (coordination, fusion d’informations sémantiques, définition de stratégies etc). Cela a donné lieu à un grand nombre de publication, et a sans doute fait progresser le domaine. Il faut cependant rester conscient que puisque la DARPA est organisatrice, elle garde sans aucun doute un certain nombre d’éléments pour elle, ce qui lui permet de conserver son avance dans le domaine. Il faut donc espérer que ses erzatz européens permettront à l’Europe de ne pas décrocher sur ce sujet, qui comme je l’évoquais en introduction, constitue un domaine startégique à plusieurs points de vue.