Pour conclure cette première édition de la Semaine du Numérique et des Sciences Informatiques, nous nous penchons sur les trajectoires inspirantes de trois jeunes chercheurs qui commencent leur carrière en intelligence artificielle. Ce domaine, en constante évolution, est au cœur des avancées technologiques qui façonnent notre société moderne. Nous vous proposons d’explorer les parcours de Max Bourgeat, Fanny Jourdan et Ahmed Njifenjou, trois doctorants passionnés et déterminés, dont les recherches et les réalisations illustrent parfaitement l’innovation et la diversité du secteur numérique.
Que ce soit à travers l’application de l’IA dans des domaines aussi variés que la santé, les transports, la finance, ou encore l’optimisation combinatoire pour Max ; l’étude de l’explicabilité et de l’équité dans les algorithmes de traitement automatique du langage pour Fanny ; ou l’approfondissement du dialogue humain-machine dans des domaines ouverts pour Ahmed, leurs travaux sont à la pointe de la recherche en IA et informatique. ActuIA leur a proposé trois questions pour en savoir un peu plus sur leur décision de faire carrière dans l’IA et leurs perspectives d’avenir.
Pourquoi avez-vous choisi de faire carrière dans le domaine du numérique ? Qu’est-ce qui a initialement suscité votre intérêt pour l’IA ?
Fanny Jourdan : Depuis l’enfance je suis passionnée de mathématiques, j’ai découvert l’IA comme application directe d’une branche des maths que j’affectionne particulièrement : les probabilités et les statistiques. C’est la raison pour laquelle je me suis orienté vers un master en mathématiques appliquées et data science, où j’ai pu explorer en profondeur le monde du numérique. Au cours de mes études, j’ai pris conscience de l’impact significatif de l’IA dans la société. Cette prise de conscience m’a motivée à apporter ma contribution à ce domaine, notamment en y intégrant une dimension éthique. C’est cette ambition qui m’a orientée vers la recherche en explicabilité et en fairness, avec l’objectif de comprendre et d’améliorer ces technologies pour qu’elles soient plus justes et transparentes.
Max Bourgeat : Je suis un passionné de technologie depuis toujours. Dès mon adolescence, je plongeais dans les jeux vidéo et commençais à m’intéresser à la programmation. En classe préparatoire, j’ai commencé à coder, découvrant l’incroyable potentiel de la programmation. En 2019, entrant en école d’ingénieur, j’avais déjà choisi le numérique comme ma voie. L’émergence médiatique de l’intelligence artificielle m’a captivé, surtout son côté magique. Les capacités de l’IA en vision dans les domaines de l’imagerie biomédicale et de l’imagerie satellitaire m’ont impressionné, me conduisant à réaliser mon stage de première année dans une start-up axée sur l’IA, une expérience qui m’a enthousiasmé. Depuis, j’ai orienté tous mes projets et stages vers l’IA, explorant ce domaine en constante expansion pour en faire ma carrière.
Ahmed Njifenjou : Plus jeune j’étais déjà très attiré par les nouvelles technologies. J’ai été fasciné par mes premiers cours d’informatique dans mon école primaire au Cameroun où on nous apprenait les différentes composantes de l’ordinateur. Chez moi, malgré mon jeune âge j’étais sollicité pour aider sur plusieurs tâches et j’avais tout au long de mon parcours des résultats académiques cohérents en Informatique et en Mathématiques. Pour l’anecdote, récemment, un enseignant-chercheur de l’Université de Yaoundé I, surpris, a appris lors de sa visite dans mon laboratoire en France que j’étais l’un des lauréats des olympiades d’informatique qu’il avait organisées il y a dix ans. Pour dire que cela remonte vraiment à longtemps. En arrivant en prépa, j’ai vu mon intérêt pour l’aspect applicatif des mathématiques grandir. Dans l’optique d’approfondir ces deux aspects, j’ai intégré une école d’ingénieur généraliste.
Quelles connaissances ou compétences, acquises pendant vos études, se révèlent fondamentales pour vous aujourd’hui ?
F. J. : Comme je le disais, j’ai commencé dans l’IA, car j’adorais les probabilités et les statistiques, mais finalement, ce qui me sert le plus dans mon travail de thèse est l’algèbre linéaire que j’ai faite en prépa ! Les nouvelles architectures de type transformer (comme GPT ou BERT) reposent principalement sur de grandes multiplications matricielles. Une vraie compréhension de ces matrices est donc indispensable pour expliquer et travailler efficacement avec ces modèles.
M. B. : D’un point de vue académique, les mathématiques (statistiques, optimisation, algèbre linéaire) et la programmation sont des éléments clés pour comprendre et mettre en œuvre l’IA, ce qui les rend fondamentaux pour moi. Être capable de s’engager totalement dans un projet est une compétence cruciale. La partie que je trouve la plus intéressante implique une revue de littérature et une modélisation de la solution, mais elle ne représente qu’environ 10 % à 30 % du temps du projet, le reste étant consacré à la mise en œuvre, une étape longue et fastidieuse. L’humilité est une qualité essentielle. Seul, il est impossible de mener à bien un projet d’IA. Avec la profusion de connaissances requises dans ce domaine, même un ingénieur IA expérimenté ne peut pas réaliser un produit fini en solo. La collaboration avec des développeurs, des designers UI/UX, des ingénieurs de données, etc., est indispensable pour aboutir à un résultat réussi. Ainsi, la réussite dans le domaine de l’IA dépend de l’équilibre entre expertise technique, collaboration interdisciplinaire et une approche humble et curieuse face aux défis.
A. N. : Grâce à mon parcours en École d’Ingénieur, j’ai pu apprendre les fondements de ce qu’on qualifie “globalement” d’IA. Des cours sur la théorie de l’apprentissage statistique, le machine learning puis le deep learning de façon incrémentale m’ont permis de construire un bagage théorique qui s’avère important aujourd’hui. L’aspect mathématique des IA est parfois très peu connu du grand public. Mon parcours académique m’a permis de comprendre ce qu’il se passait à l’intérieur des modèles neuronaux d’IA qu’on utilise aujourd’hui dans divers domaines (même si de façon pratique expliquer pourquoi ils fonctionnent reste une problématique de recherche ouverte).
Avec les avancées continues et les défis propres à l’IA, comment maintenez-vous vos compétences à jour et envisagez-vous les années à venir ?
F. J. : En tant que chercheuse en IA, maintenir mes compétences à jour est essentiel pour rester au fait des dernières avancées et défis du domaine. Ma position dans la recherche me place naturellement en première ligne des innovations technologiques. Je consacre donc une partie importante de mon temps à la veille technologique, notamment en lisant les derniers papiers de recherche. Ces lectures me permettent non seulement de suivre les évolutions actuelles, mais également de prévoir les tendances futures avant qu’elles n’atteignent l’industrie ou le grand public. De plus, assister à des conférences et discuter avec des collègues sont des pratiques enrichissantes qui complètent ma veille. Je suis compte poursuivre dans ce domaine captivant, afin de découvrir et de contribuer moi-même à ces avancées.
M. B. : Se tenir à jour en IA est complexe avec les avancées quasi-quotidiennes. Deux défis émergent : rester informé de toutes les évolutions et appliquer ces progrès de manière concrète. Pour relever le premier défi, je lis quotidiennement des blogs et des articles scientifiques, assiste à des conférences lorsque c’est possible. Pour le second, j’intègre ces avancées dans des projets personnels, facilitant l’identification et l’implémentation rapides de solutions adaptées aux besoins émergents. Le rythme accéléré des progrès rend difficile la maîtrise complète de tous les domaines. Ainsi, à partir d’un certain temps, il faut choisir entre une veille exhaustive pour identifier les meilleures technologies ou se spécialiser dans un domaine précis en continuant à mettre en œuvre de nouveaux algorithmes pour devenir un expert.
A. N. : Malgré les performances apparentes des modèles utilisés de nos jours, il reste encore de nombreuses pistes de recherche à explorer. En tant que doctorant, nous essayons de contribuer autant que possible à faire avancer le domaine. Ceci passe par une mise à niveau perpétuelle par rapport à ce que toute la communauté scientifique propose.
Max Bourgeat est actuellement en doctorat en intelligence artificielle appliquée à l’optimisation combinatoire à Polytechnique Montréal. Diplômé en mathématiques et IA de la Sorbonne Université et de l’ENSTA Bretagne, il a travaillé sur des applications de l’IA dans divers domaines : la santé, les transports, la finance et l’optimisation combinatoire. Ses recherches se concentrent sur l’apprentissage par renforcement, l’IA générative et la recherche opérationnelle. Il est également intéressé par les applications de l’IA à la finance.
Fanny Jourdan est doctorante en mathématique et en informatique à l’Institut de Recherche en Informatique de Toulouse et à ANITI (Artificial and Natural Intelligence Toulouse Institut). Ses travaux de recherche portent sur l’Explicabilité et la Fairness (équité, étude des biais discriminants) dans les algorithmes de traitement automatique des langues (Natural Language Processing). Avant cela, elle a réalisé un master en mathématique et data science à l’École polytechnique et un second master en économie numérique à l’Université Paris Dauphine.
Ahmed Njifenjou est doctorant au Laboratoire Informatique d’Avignon plus précisément dans le domaine du Traitement automatique du langage naturel. Sa thèse porte sur la problématique du dialogue humain-machine à domaine ouvert. Originaire du Cameroun où il a effectué la majeure partie de son cursus académique excepté les deux dernières années de lycée (Côte d’Ivoire), il est arrivé en France pour la classe préparatoire à la suite de laquelle il a intégré Télécom SudParis une école d’ingénieurs généraliste membre de l’Institut Polytechnique de Paris où il réalise le Master Data Sciences en double diplôme. Après l’obtention de ces diplômes, il a décidé de s’orienter vers le monde de la recherche.