La Commission a publié le 13 juillet son rapport annuel sur l’évolution de l’emploi et de la situation sociale en Europe (ESDE). Cette édition 2018 met l’accent sur les nouvelles technologies dont les impacts et enjeux tant économiques et sociaux que juridiques vont révolutionner le marché du travail et la situation sociale. Des défis auxquels il est primordial de s’intéresser dès maintenant pour mieux construire le monde de demain.
Comme le souligne le rapport, le développement technologique est essentiel à l’accroissement de la productivité globale. Mais il remplace également les tâches de routine nécessitant peu de compétences et relève le seuil de compétences de l’employabilité. Alors qu’il n’y a pas de conclusion définitive en ce qui concerne l’étendue possible de l’incidence de la technologie sur l’emploi, les études montrent que ce sont les tâches répétitives de routine qui sont les plus exposées sont à une automatisation partielle ou complète. Selon une étude, 37% à 69% des emplois pourraient être partiellement automatisés dans un proche avenir. L’amélioration de l’éducation et de l’apprentissage tout au long de la vie et l’adéquation aux besoins de notre marché du travail et de nos institutions de protection sociale sont essentielles pour s’adapter à ce monde du travail en pleine évolution.
Quelles sont les préoccupations centrales du rapport 2018 sur l’évolution de l’emploi et de la situation sociale en Europe?
Le rapport sur l’évolution de l’emploi et de la situation sociale de cette année porte principalement sur les mutations du monde du travail, et il contribue aux recherches et au débat public sur ce thème déjà investi par les chercheurs universitaires, les pouvoirs publics et certaines organisations internationales comme l’OIT, l’OCDE et la Banque mondiale.
Les chapitres du rapport traitent des points suivants :
- Principales évolutions concernant l’emploi et la situation sociale en Europe
- Un nouveau marché du travail avec de nouvelles conditions de travail: emplois, compétences et revenus futurs
- Égalité des chances: compétences, éducation et lutte contre les inégalités socio-économiques et de genre
- Inégalité des résultats
- Accessibilité et pérennité de la protection sociale dans un monde du travail en mutation
- Dialogue social dans un monde du travail en mutation
Les conclusions du rapport soulignent l’importance de l’engagement pris par la Commission de renforcer la dimension sociale de l’Europe et la pertinence du socle européen des droits sociaux. Elles étayent également les priorités mises en avant dans la proposition de la Commission du 2 mai 2018 pour le cadre financier pluriannuel de l’UE après 2020.
Pourquoi le rapport 2018 sur l’évolution de l’emploi et de la situation sociale en Europe se concentre-t-il sur la mutation du monde du travail ?
La mondialisation, les avancées technologiques et l’évolution démographique ont de plus en plus d’influence sur les conditions de vie et de travail ainsi que sur la situation sociale. Les marchés du travail sont devenus plus dynamiques. On ne travaille plus aujourd’hui comme il y a quinze ans. Les robots, l’intelligence artificielle et les technologies numériques sont en train de révolutionner la manière de fabriquer des produits et de prester des services.
Ces technologies peuvent rendre obsolètes certains métiers traditionnels consistant à effectuer des tâches simples, ce qui suscite des inquiétudes quant au risque de perte d’emplois. La réponse de la Commission à ces préoccupations centrales pour les citoyens de l’UE s’articule autour de deux axes :
- d’une part, les investissements visant à développer les compétences des personnes grâce à l’apprentissage tout au long de la vie
- et, d’autre part, la modernisation de la législation sur le marché du travail et des régimes de protection sociale en réaction à la mutation du monde du travail.
Comment évolue la situation sociale et de l’emploi dans l’UE?
L’amélioration de l’environnement macroéconomique a eu une incidence positive sur le marché du travail. L’emploi a atteint de nouveaux niveaux records avec près de 238 millions de travailleurs. Parallèlement, si le nombre d’heures de travail par personne occupée a augmenté au cours des dernières années, il demeure en deçà des niveaux de 2008. Le taux de chômage s’élève à 7 % dans l’UE, soit le taux le plus bas depuis août 2008. De plus, le chômage de longue durée a continué à baisser, même s’il représente encore près de la moitié du taux de chômage global. Le nombre de jeunes sans emploi (chômeurs âgés de 15 à 24 ans) a diminué de 4,2 millions avant la crise (en 2008) à 3,37 millions aujourd’hui. Si ces tendances positives se poursuivent, l’UE devrait atteindre l’objectif d’un taux d’emploi de 75 % fixé par la stratégie Europe 2020.
La croissance économique a également eu une incidence positive sur le niveau de revenus. Le revenu disponible des ménages est en hausse dans la grande majorité des États membres. En 2016 (dernières données disponibles), on recensait 5,6 millions d’individus exposés au risque de pauvreté ou d’exclusion en moins par rapport au pic de 2012. Ce chiffre a diminué année après année, mais avec 117 millions d’individus actuellement concernés, les objectifs de la stratégie Europe 2020 n’ont pas encore été atteints. Les situations de privation matérielle aiguë ont diminué dans presque tous les États membres: elles ne concernaient en 2017 plus que 33,4 millions de personnes, soit une baisse d’environ 16,1 millions par rapport au pic de 2012 (49,4 millions).
Quelle est l’incidence de l’automatisation sur l’emploi?
S’il est pour l’instant impossible de tirer des conclusions définitives en ce qui concerne l’ampleur des éventuelles répercussions de la technologie sur l’emploi, des études indiquent que les tâches répétitives et routinières sont davantage sujettes à l’automatisation totale ou partielle. Cette dynamique s’accompagne d’une polarisation de l’emploi: le nombre d’emplois peu rémunérés et d’emplois bien rémunérés augmente, tandis que le nombre d’emplois à revenu intermédiaire est en baisse.
En outre, certaines avancées technologiques ont favorisé la progression de formes atypiques d’emploi, telles que le travail via une plateforme et le travail non salarié. Cette dynamique a eu une incidence positive tant pour les entreprises que pour les travailleurs, notamment en termes de flexibilité accrue et de meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Elle a également offert de nouvelles possibilités aux travailleurs, et notamment aux personnes handicapées et aux personnes plus âgées, d’entrer ou de demeurer sur le marché du travail. Néanmoins, le travail atypique peut avoir des répercussions sur les conditions de travail et la qualité de l’emploi. L’essor des formes de travail atypiques risque d’accentuer les inégalités, y compris entre les femmes et les hommes.
De plus, certaines de ces nouvelles formes de travail brouillent la distinction entre travail salarié et non salarié, ce qui compromet la capacité des régimes de protection sociale européens à garantir une couverture appropriée à tous les travailleurs. Les différenciations opérées par les régimes de protection sociale doivent être revues afin de fournir une protection inclusive et d’assurer la viabilité à long terme des régimes de sécurité sociale. À cet effet, la Commission a présenté en mars 2018 une proposition visant à garantir l’accès à la protection sociale pour tous les travailleurs salariés et non salariés, y compris en facilitant le transfert des droits accumulés en matière de sécurité sociale d’un emploi à l’autre ou d’un statut professionnel à l’autre.
Les avancées technologiques engendrent également des opportunités: les technologies innovantes permettent d’accroître la productivité, de créer de nouveaux emplois, de faciliter l’intégration sur le marché du travail et de favoriser un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Dans ce contexte, l’éducation et la mise à niveau des compétences jouent un rôle de plus en plus important pour aider les travailleurs et les entrepreneurs européens à s’adapter. Avec la stratégie en matière de compétences pour l’Europe, la Commission a préparé le terrain pour doter les Européens de meilleures compétences à tous les niveaux tout au long de leur vie, en étroite coopération avec les États membres, les prestataires de services de formation et les entreprises. Les partenaires sociaux évoluent également avec la situation sur le marché du travail et pourraient jouer un rôle positif s’agissant d’adapter le cadre juridique actuel aux nouvelles formes de travail.
Quelle est l’incidence de l’automatisation sur les inégalités de revenus?
Le niveau de revenu et l’inégalité des revenus dépendent l’un comme l’autre du nombre d’heures travaillées et des salaires horaires. Par conséquent, les mutations du monde du travail peuvent avoir une influence sur les revenus dans la mesure où les nouvelles formes de travail ont une incidence sur l’un ou l’autre de ces deux facteurs. L’automatisation touche principalement les emplois peu qualifiés et répétitifs et par conséquent les personnes à faible revenu.
Les nouvelles formes de travail favorisent souvent le recours à des contrats de travail atypiques au détriment d’emplois classiques à temps plein et à durée indéterminée. Le phénomène du travail atypique est susceptible d’accentuer le recours à certaines formules de travail souples, telles que l’auto-entreprenariat et les emplois temporaires. Cela pourrait se traduire par une plus grande volatilité des revenus risquant à son tour d’accroître la vulnérabilité des travailleurs occupant un emploi atypique. Pour remédier à cette situation, la Commission a proposé une directive sur la transparence et la prévisibilité des conditions de travail visant notamment à introduire de nouvelles normes minimales s’appliquant à tous les travailleurs, y compris à ceux occupant des emplois atypiques.
Dans quelle mesure les nouvelles technologies vont-elles remplacer le travail ? Cette évolution est-elle inéluctable ?
L’automatisation ne conduit pas nécessairement à la perte d’emplois. Les États membres où l’automatisation de la production est la plus répandue (l’Allemagne et la République tchèque, par exemple) sont aussi ceux où les taux de chômage sont les plus faibles à l’heure actuelle. L’Allemagne, par exemple, a le taux de robotisation le plus élevé dans l’UE, mais peu d’éléments permettent d’affirmer que les robots ont un impact négatif sur l’emploi.
En règle générale, la mesure dans laquelle un travail peut être remplacé par des technologies dépend du niveau de compétence requis pour les tâches réalisées dans le cadre de ce travail. C’est pourquoi les tâches simples et répétitives présentent un taux de remplacement relativement élevé.
En revanche, une main-d’œuvre qualifiée est nécessaire pour réaliser pleinement le potentiel des technologies modernes en effectuant des tâches d’exploitation, d’entretien, de réparation ou d’optimisation. Au final, le remplacement ou le non-remplacement du travail par la technologie dépend de la capacité des systèmes d’éducation et de formation à s’adapter à l’évolution rapide des possibilités technologiques. C’est pourquoi il est important d’investir dans les compétences des personnes afin qu’elles demeurent employables, indépendamment des avancées technologiques.
Quelle incidence les bouleversements tels que l’automatisation et les formes atypiques d’emploi ont-ils sur les régimes de protection sociale existants ?
Les régimes actuels de sécurité sociale sont conçus et adaptés en premier lieu pour les personnes travaillant à temps plein et dans une relation à long terme, généralement avec un seul employeur. D’autres groupes, tels que les travailleurs non salariés et les travailleurs occasionnels ou saisonniers risquent d’être formellement exclus de toute protection sociale.
La mutation du monde du travail se traduisant par l’augmentation du nombre de contrats de travail atypiques, nombreux sont ceux qui ne seront pas couverts par un régime de protection sociale. Il en résulte une baisse de l’assiette des cotisations qui, conjuguée au vieillissement démographique, met à mal les finances des régimes de sécurité sociale. Pour atteindre leur objectif et résister à l’épreuve du temps, les régimes de sécurité sociale vont devoir garantir un accès à vie aux services sociaux essentiels, adopter une approche individualisée du développement professionnel et proposer un soutien à l’employabilité.
Les partenaires sociaux jouent-ils un rôle dans la gestion de ces changements dans l’organisation du travail ?
Les partenaires sociaux aux niveaux européen, national, interprofessionnel et sectoriel peuvent contribuer à façonner un avenir durable pour le monde du travail. Cela étant, l’organisation de ces nouvelles formes de travail atypiques est souvent plus compliquée. La représentation des intérêts des travailleurs est de plus en plus problématique du fait de l’individualisation croissante du marché du travail, et le taux de syndicalisation est en baisse. La représentation des employeurs bute également sur certaines nouvelles formes de travail. À vrai dire, dans certains cas, il est même difficile de désigner clairement les employeurs. Les partenaires sociaux engagent déjà des efforts pour s’adapter à ces défis, en tâchant de:
- mettre en œuvre des stratégies et des actions pour le perfectionnement et la reconversion professionnels, telles que la création de fonds pour encourager les entreprises à faciliter le développement des compétences de leurs salariés;
- modeler la plus grande souplesse en termes de temps et de méthode de travail rendue possible par les nouvelles technologies, par exemple en défendant le «droit à la déconnexion»;
- maintenir le champ d’application des négociations collectives, en trouvant des moyens de mieux intégrer les contrats de travail atypiques dans les conventions collectives;
- organiser une représentation plus inclusive des intérêts des travailleurs sur les nouveaux marchés du travail, au moyen de campagnes ciblant les jeunes travailleurs et les travailleurs de l’économie des plateformes.
Que fait la Commission afin de relever les défis qui apparaissent dans le contexte de la mutation du monde du travail ?
Dans le cadre du socle européen des droits sociaux, la Commission a lancé plusieurs initiatives importantes, parmi lesquelles :
La stratégie en matière de compétences pour l’Europe montre la haute priorité que la Commission accorde à veiller à ce que l’éducation et la formation permettent aux citoyens d’acquérir les connaissances et les compétences dont ils ont besoin pour s’épanouir personnellement, socialement et professionnellement. L’ensemble des dix actions prévues dans le cadre de la stratégie en matière de compétences sont désormais en cours. Des actions telles que le parcours de renforcement des compétences, la coalition en faveur des compétences et des emplois numériques et le plan de coopération sectorielle en matière de compétences ciblent le perfectionnement professionnel, la coopération intersectorielle et l’anticipation des besoins de demain en matière de compétences, ainsi que l’amélioration de la veille stratégique sur les besoins en compétences.
La Commission soutient également le développement des compétences en Europe au moyen de fonds européens (par exemple: les Fonds structurels et d’investissement européens, le programme Horizon 2020, le prochain programme Horizon Europe, le programme pour l’emploi et l’innovation sociale et le programme «Erasmus +»).
Un soutien financier continuera à être apporté dans le cadre financier pluriannuel pour l’après 2020. Le Fonds social européen plus (FSE+) sera le principal instrument financier de l’UE pour investir dans le capital humain et un vecteur clé pour renforcer la cohésion sociale, améliorer l’équité sociale et renforcer la compétitivité en Europe. Le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation (FEM) sera révisé afin qu’il puisse intervenir plus efficacement pour venir en aide aux travailleurs qui ont perdu leur emploi en leur permettant d’améliorer leurs compétences et leur employabilité, facilitant ainsi l’élévation générale du niveau de compétence de la main-d’œuvre européenne.
Pour de plus amples informations :