L’Institut Henri Poincaré organise une conférence IA les 16 et 17 novembre 2021, un événement autour des enjeux de la recherche en intelligence artificielle et de la diversité des domaines où elle intervient. Au programme : exposés, d’échanges et de conversations scientifiques, des sciences de l’environnement à la santé, en passant par la prochaine élection présidentielle et la justice. Dominique Mouhanna, directeur-adjoint de l’Institut Henri Poincaré, a eu la gentillesse de répondre à nos questions.
Ne manquez pas la conférence IA de l’Institut Henri Poincaré, en présentiel et en ligne.
Inscriptions sur le site de l’événement.
Pouvez-vous nous présenter le contenu des deux journées dédiées à l’IA organisées par l’Institut Henri Poincaré et ses partenaires les 16 et 17 novembre prochains ?
Il y aura donc quatre demi-journées. Les trois premières seront consacrées à l’exposé des concepts fondamentaux et à l’état actuel du domaine, et plutôt destinées aux chercheurs et chercheuses. Cela se déclinera selon deux points de vue : le premier sera un focus sur les applications de l’IA qui sont maintenant innombrables, en essayant de couvrir un champ assez large, mais évidemment non exhaustif sur deux journées. Le second point de vue consistera davantage en une réflexion sur l’intrusion de l’IA dans la société et les conséquences qui s’ensuivent. Il s’agira de porter un regard plus extérieur sur le sujet, en essayant d’aborder des questions variées, qu’elles soient éthiques, écologiques voire philosophiques.
La quatrième demi-journée, au cours de laquelle interviendront surtout étudiants et étudiantes en thèse ou en post-doc, est plutôt à destination des étudiants et étudiantes d’université ou même de lycée, et aura pour but de montrer dans quelles voies s’engagent les jeunes qui se tournent vers l’IA : ce que sont leurs sujets de recherche, leurs formations, leurs parcours. Il s’agira enfin de montrer que l’IA est un vrai point de jonction entre la recherche fondamentale et le monde de l’entreprise. Il y a 15 ou 20 ans le monde universitaire et celui de l’entreprise étaient encore très cloisonnés ; aujourd’hui il y a une mise en application de plus en plus rapide des concepts émanant de la recherche fondamentale vers le secteur de l’entreprise. Et l’IA en est vraiment un des exemples phares. Voilà, les grandes lignes de ces journées : rappeler les principes fondamentaux de l’IA, discuter de ses répercussions sur la société, et enfin montrer la variété des métiers et des parcours possibles dans ce domaine.
Ces conférences permettront notamment de faire le point sur l’état actuel du domaine. Quels seront les focus abordés et pensez-vous que la pandémie a fait évoluer le secteur de l’IA quant aux domaines d’application prioritaires ?
Vous faites référence à la pandémie. Ce qu’il faut souligner c’est que, globalement, la recherche médicale ou bio-médicale, est extrêmement « consommatrice » d’IA. Cela va de l’identification de pathologies très diverses, que ce soit dans le domaine de la traumatologie, de la cardiologie, de la phlébologie, mais aussi en cancérologie ou en neurologie. L’IA est utilisée dans de nombreux domaines médicaux comme outil d’analyse et de diagnostic mais aussi comme aide à la planification de protocoles médicaux adaptés.
Ces domaines seront très bien représentés pendant ces deux journées. Mais des intervenants feront également état des avancées dans le domaine de la robotique, domaine très dynamique, dans celui de l’énergétique, que ce soit autour de la question de l’acheminement optimal de l’énergie par exemple, mais aussi autour de celle de la sobriété énergétique de nos sociétés. Du reste, on sait maintenant très bien que l’IA et les technologies modernes sont elles-mêmes extrêmement énergivores. Se pose donc aussi la question de la sobriété énergétique de l’IA elle-même…
Il y a aussi, évidemment, le domaine de la climatologie qui, du fait de sa complexité, fait appel à l’informatique et à l’IA de façon massive. Mais plus généralement on la trouve à tous les niveaux de la société : justice – où l’on recourt à l’IA notamment dans le cadre de procédures judiciaires, ce qui s’est beaucoup développé ces derniers temps aux États-Unis – mais aussi police, secteur militaire, commerce en ligne etc. Par ailleurs, comme je le disais, des questions d’ordre sociétal, éthique, seront évoquées comme celle des biais de genre ou encore la confidentialité des données…
Le panel des domaines abordés est donc très large. Je rajoute aussi le domaine des sciences dures (physiques, mathématiques) dans lequel de plus en plus de travaux ont recours à cet outil. Toutefois en mathématiques et en physique théorique en particulier, c’est une question encore très ouverte car l’on touche ici à des domaines très spécifiques où le processus créatif peut intervenir très singulièrement. Là où l’IA fonctionne très bien c’est avant tout dans les domaines où l’on rencontre une problématique de gestion massive de données; la médecine ou la biologie en sont de très bons exemples.
Vous me questionnez sur l’effet de la pandémie. L’IA s’est beaucoup intéressée à la COVID 19 à la fois dans un cadre « diagnostic », relevant plutôt de l’infectiologie, mais aussi dans un cadre « épidémiologique ». Mais j’insiste sur le fait que l’épidémiologie est un champ investi par les mathématiques, la physique – notamment statistique – et l’informatique depuis longtemps. Il y a donc très certainement eu une focalisation de l’IA sur les domaines touchant à la santé mais, en fait, elle y était déjà très présente.
L’IHP collabore, dans le cadre de cette conférence, activement avec des entreprises comme Criteo, Aquila data, RTE ou encore l’Oréal. Comment se déroulent ces partenariats, quels sont les grands projets et la dynamique actuelle de l’IHP avec ses partenaires privés et publics ?
Je précise tout d’abord que c’est le Fonds de dotation de l’IHP, dont on fête les 5 ans en 2021, qui fait un travail tout à fait remarquable pour soutenir l’extension de l’IHP et la création de sa Maison Poincaré, en levant des fonds auprès des entreprises et des particuliers. Grâce à ces soutiens, de nombreux projets ont été réalisés : expositions, films, etc ; je mentionne notamment l’expérience de réalité mixte « Holo-Math », programme de médiation scientifique en 3D, qui est directement en lien avec des entreprises de technologies avancées.
La Maison Poincaré, projet d’ouverture vers la communication et la médiation scientifique, mené par la cheffe de projet Marion Liewig depuis 2016 et supervisé par la directrice de l’IHP, Sylvie Benzoni, est actuellement le projet majeur de l’institut, auquel participent activement toutes ses équipes. Ce projet est porté par des financements publics, via le CPER (Contrats de plan État-Région) qui fait intervenir CNRS, État, Région Ile-de-France, Ville de Paris, et via les tutelles de l’institut, CNRS et Sorbonne Université.
Cette conférence est un très bon exemple de la façon dont nous souhaitons travailler avec les partenaires du Fonds de dotation : une association à la réflexion, au sein des comités scientifiques composés d’acteurs et d’actrices de la médiation, de la communication, de la recherche, et à l’organisation, à l’image de notre collaboration avec Antonin Braun (Aquila Data Enabler), Julien Mairal (INRIA) et Liva Ralaivola (Criteo AI Lab). Nous avons mené cette conférence avec des intentions communes : préciser l’état de la recherche actuelle en IA, le champ excessivement large de ses applications ainsi que les perspectives des parcours professionnels pour la jeune génération. Mais, plus largement, il y aura, dans le cadre de la Maison Poincaré, de nombreux événements autour de la médiation des mathématiques et l’on compte beaucoup sur les contributeurs entreprises et académiques pour développer ces activités.
Cet événement est destiné aux scientifiques et experts du domaine, mais également à un public plus large et notamment aux étudiants. Le nombre de formations en IA a considérablement augmenté ses dernières années, que conseillerez-vous à des étudiants qui souhaitent se lancer dans une carrière dans l’IA ? Quelles sont les grandes compétences à maitriser et les opportunités qui peuvent s’offrir à eux ?
Il y a eu, de ce point de vue, une évolution majeure ces dernières années. L’IA a changé de statut : auparavant il s’agissait essentiellement d’un domaine de recherche, très pointu, qui nécessitait une formation très solide en mathématiques et en informatique. L’entrée de l’IA dans de nombreux domaines de la société s’est accompagnée d’une diversification des formations et aussi de leurs objectifs. Initialement, des masters de formation à la recherche constituaient la voie quasi-unique, et nécessitaient des compétences techniques très élevées.
Aujourd’hui il existe, parallèlement à ces formations de pointe, des formations intégrées au sein desquelles l’objectif est différent, plutôt tourné vers les applications et l’utilisation de l’IA. Il faut savoir qu’aujourd’hui l’on trouve des programmes d’IA en ligne « clés en main », et il n’y a plus besoin d’être un informaticien de haut niveau pour les utiliser. La conséquence de cette évolution est qu’il faut désormais avoir à la fois des connaissances « minimales » d’utilisateur de l’IA, mais aussi des connaissances inhérentes au domaine vers lequel on souhaite s’orienter : médical, bancaire, commercial, financier… Si l’on est dans la finance il faut, par exemple, savoir ce qu’est un portefeuille d’actions, une optimisation, etc. Mais on peut aussi s’attendre à ce que se créent des partenariats entre professionnels d’un domaine et des techniciens plus spécifiquement formés à l’IA au même titre que dans le domaine médical, un radiologue est souvent épaulé par un spécialiste des rayons X, ayant des connaissances en dosimétrie du rayonnement.
Quel est à titre personnel, le projet de recherche/l’application/la startup qui vous a le plus marqué dernièrement ?
Il y a là un biais lié à ma propre pratique, la physique théorique. Comme je le disais plus haut beaucoup de choses très spectaculaires se passent dans le domaine des diagnostics médicaux, de la biologie, de la climatologie, je dirais des sciences du « complexe ». On trouve ici, en effet, beaucoup de problématiques quantitatives, c’est à dire qui relèvent de la gestion d’une masse gigantesque de données. Que l’on songe, par exemple, au séquençage du génome humain qui fait entrer en jeu environ 3 milliards de paires de base.
Une question majeure pour moi est celle de la possibilité de réaliser des progrès qualitatifs, c’est à dire de nature créatrice : concrètement la possibilité d’inférer des lois physiques nouvelles ou des théorèmes mathématiques originaux. Ces derniers temps, dans le domaine de la physique ou des mathématiques, on a vu circuler des propositions de ce type. Je suis attentif à cela car l’on serait alors passé de l’ère de l’apprentissage à celle de « l’apprentissage de l’apprentissage », à un niveau supérieur. Et ceci renverrait à des questions déjà posées, mais peut-être selon un point de vue nouveau, dans le cadre des neurosciences et ayant trait au fonctionnement de l’être humain lui-même : conscience, libre arbitre, créativité. C’est cet effet de feedback qui m’intéresse: en quoi la technologie peut renvoyer au fonctionnement de l’être humain lui-même.