Radiothérapie : rencontre avec Nikos Paragios, président cofondateur de TheraPanacea

S’il y a des secteurs dans lesquels les attentes sont grandes en matière d’intelligence artificielle, celui de la santé en fait incontestablement partie. Il faut reconnaître que des annonces prometteuses nourrissent l’espoir de nettes améliorations dans des spécialités telles que l’oncologie.

On peut toutefois raisonnablement penser qu’il y a tout un monde entre la recherche expérimentale et l’établissement de nouvelles pratiques de soin. Nous avons eu l’occasion de nous entretenir avec Nikos Paragios, président cofondateur de Therapanacea, l’un des fleurons du domaine, pour en apprendre plus sur le sujet à l’occasion d’AI Paris 2019.

Quelle est l’origine de TheraPanacea ?

Therapanacea c’est une société, un spin off de Centrale Supélec. Aujourd’hui le cancer est l’un des plus grand dangers mondiaux. On compte environ 15 millions de décès par an et l’un des types de traitements les plus fréquemment utilisés c’est la radiothérapie.

Mon laboratoire à Centrale Supélec auparavant développait des algorithmes statistiques d’optimisation d’imagerie médicale. On a décidé d’essayer de contribuer à la lutte contre le cancer avec des technologies qui vont mettre en avant l’IA par rapport à la radiothérapie en essayant d’optimiser les plans de traitement, cela veut dire moins d’effets secondaires, une meilleure réponse aux traitements et une meilleure efficacité économique de telle manière que l’on puisse traiter plus de patients sachant qu’aujourd’hui on a pas suffisamment de machines pour traiter tous les patients.

Les données de santé sont considérées particulièrement sensibles, estimez-vous qu’il est suffisamment facile d’y accéder en France dans le cadre de projets d’innovation ?

La France est un paradigme assez intéressant parce que d’un côté on a un système de santé qui est extrêmement structuré. Donc à priori c’est un avantage compétitif par rapport aux autres pays où souvent on a des systèmes de santé qui sont fragmentés comme aux États-Unis.

D’un autre côté en fait l’accès aux données n’est pas si évident que cela. C’est pas forcément lié aux réglementations. Il faut quand même faire attention parce qu’on manipule des données de santé, donc, on ne peut pas faire tout ce qu’on souhaite à partir de ces données-là. Il y a des questions de privacité notamment. Mais par contre je pense qu’il y a un problème de perception des médecins sur la propriété des données.

Aujourd’hui le vrai frein ce n’est pas la réglementation parce qu’il y a des procédures que l’on peut sans problème suivre pour garantir la traçabilité et la protection des données. Le vrai frein c’est la mentalité de certains sites hospitaliers. Souvent on se retrouve face à des arguments qui ne sont pas du tout liés à la réglementation mais à la perception que les données appartiennent aux médecins et pas vraiment aux patients. Ce n’est donc pas si évident que ça.

On a l’avantage d’avoir plusieurs partenariats avec des sites cliniques comme Gustave Roussy, et d’autres sites aussi qui nous permettent d’avoir accès aux données. Mais si on souhaite que la France devienne le leader mondial dans tout ce qui est l’IA, tout ce qui est algorithmes à la fois dans le domaine de la santé et au-delà, il faut quand même essayer de fluidifier ce passage en faisant bien sûr attention à ce que tout se fasse proprement, que ce soit tracé, bien réglementé.

Comment expliquez-vous les réticences que vous mentionnez ? Est-ce en lien avec la peur que l’intelligence artificielle remplace le médecin ?

Il y a plusieurs arguments du côté du corps médical. Le premier argument c’est que ce sont des données sensibles. C’est quelque chose qui est totalement compréhensible. Par contre je pense que, comme je l’ai dit avant, si on suit la procédure telle qu’elle est décrite dans la RGPD décrite par la CNIL, on peut avoir des données même sensibles et on peut garantir l’anonymisation, la traçabilité et tout ça.

La question du remplacement des médecins par des algorithmes IA, ce n’est pas quelque chose qui va arriver demain. Je pense qu’il y a quelques métiers où aujourd’hui l’algorithme IA va aller faire mieux que les médecins. C’est principalement les domaines de la radiologie et la pathologie digitale. Mais même dans ces domaines-là ce sont des tâches très spécifiques. C’est à dire que vous avez un algorithme qui est capable de faire des choses très bien mais sur une seule question.

Aujourd’hui un radiologue raisonne globalement. C’est à dire qu’il va regarder l’image, mais  en même temps il va prendre en considération l’historique du patient, l’historique familial, les données des antécédents de santé, les examens sanguins. Donc un médecin résonne plus globalement.

L’IA n’y est pas encore arrivée aujourd’hui, elle n’a pas encore la puissance pour gérer ces multi-modalité, c’est n’est qu’un système de décision qui garantit à la fois la traçabilité et l’explicabilité. Donc ce n’est pas une vraie peur d’être remplacé, c’est plutôt une culture qui existe depuis de longues années et c’est bien plus difficile d’avoir accès aux données du côté industriel que du côté laboratoire. Quand je dirigeais un labo académique, avoir accès aux données c’était vraiment très très facile. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. C’est le « méchant industriel » peut-être qui va récupérer les données pour faire des choses. Mais il ne faut pas oublier que l’objectif de toute société c’est l’innovation, surtout dans le domaine de la santé, où c’est de faire mieux; d’aider les patients. Et si vous arrivez à aider un patient, vous avez un vrai impact sociétal, avec une vraie économie pour la société, prise précoce qui élimine aussi la probabilité d’avoir des cas graves à gérer. Mais ça reste quand même un frein.

Therapanacea fait beaucoup parler pour ses résultats prometteurs, mais quand estimez-vous que l’IA sera suffisamment mature pour être déployée à grande échelle dans le domaine de la santé ?

Je vais parler de la radiothérapie qui est notre coeur de métier. La radiothérapie c’est, par rapport à d’autres domaines de la médecine, un domaine très structuré. Cela veut dire que souvent les patients qui sont traités vont être re-traités parce qu’ils vont faire des métastases. Donc ça veut dire qu’on est obligés de garder l’historique des patients, pour voir comment ils sont traités, avec les données de la façon dont ils ont déjà été traités. C’est donc un domaine dans lequel on a accès à des données de très bonne qualité, de façon structurée, de façon répétitive.

Ca donne donc un avantage compétitif pour toutes les solutions qui sont basées sur l’exploitation des données. Pour aller implanter ces données dans ces solutions dans l’hôpital. Je pense que dans un horizon de 5 à 10 ans, la radiothérapie va être entièrement automatisée.

Aujourd’hui, si vous regardez l’impact des experts qui sont soit des physiciens, soit des médecins, soit des dosimétristes, est minime. Ils sont là à vérifier les propositions des algorithmes qui ne sont pas efficaces parce que le problème de la radiothérapie est vraiment très complexe. Cela veut dire que même si vous arrivez à avoir les meilleurs cerveaux du monde, quand vous devez optimiser énormément de paramètres, l’homme n’est pas capable de le faire.

Je pense que dans un horizon de 5 à 10 ans, ce domaine-là vont remplacer l’homme avec une meilleure précision, une standardisation, vous aurez le même traitement si vous êtes traité dans un centre de référence comme Gustave Roussy ou dans une petite ville de province, une économie d’échelle. Aujourd’hui, il ne faut pas oublier qu’en France, on a pas suffisamment de machines pour traiter tous les patients par rapport à la moyenne européenne. La France a 6 accélérateurs par an, quand en Suède on en a 12.

L’IA, les algorithmes, c’est la réponse à tout ça : standardisation, automatisation, meilleure qualité de soin, moins d’effets secondaires.

 

L’un des intérêts de l’IA est son ubiquité : Une fois mis au point, un modèle peut être utilisé dans le monde entier en même temps. Mais pensez-vous que ce soit également vrai dans le domaine de la santé ? Les solutions sont-elles “globalisables” ?

Je ne suis pas médecin, je suis mathématicien. Mais souvent quand on discute avec des médecins, la réponse qu’on a, c’est que la médecine est un art. Et aujourd’hui il y a énormément de choses qu’on ne maîtrise pas en médecine. Cela veut dire qu’on prend des décisions sur des critères qui sont souvent arbitraires, donc on prend le meilleur parmi une pléthore de mauvais choix. Donc la standardisation dans le monde entier, je pense que c’est quelque chose qui est faisable pour les maladies ou les problèmes de médecine où on maîtrise bien les causes et les effets.

Par contre, les pratiques sont très différentes d’une site à l’autre. Même en France. Et les pratiques sont différentes d’un pays à l’autre pour une même maladie et surtout pour les maladies qu’on ne maîtrise pas, qu’on ne sait pas exactement comment il faut traiter. Pour toutes ces maladies, à mon avis, l’internationalisation des solutions va prendre un peu plus de temps que pour des maladies qu’on maîtrise bien.

L’autre aspect qui est très intéressant, c’est le type de maladies. En Chine par exemple, on a beaucoup de cancers du poumon, la raison est simple, on fume beaucoup. Cela veut dire que si vous regardez le scanner des poumons de quelqu’un qui a vécu en Chine, l’arbre pulmonaire est complètement différent d’un scanner en France. Donc la même IA ne peut pas être exportée telle qu’elle est faite aujourd’hui, en Chine. Par contre on peut imagine que le concept de base peut être utilisé pour ce qu’on appelle du transfer learning dans un autre domaine pour faire du réapprentissage.

Il y a beaucoup de variabilités, il y a beaucoup de maladies où on maitrise pas exactement comment on doit gérer. Dans ces cas-là, la question de la standardisation à l’international devient beaucoup plus complexe. Probablement nous serons obligés de faire des ré-apprentissages ou de re-développer des algorithmes à partir des algorithmes qu’on a déjà sur place.

Quelles sont vos projets d’ici la fin de l’année 2019 ?

(ndlr : interview réalisée en juin 2019)
Notre objectif d’ici la fin de l’année c’est d’avoir 10 hôpitaux qui utilisent notre premier produit avec un marquage CE en France. Ça c’est le premier objectif et je pense que nous allons y arriver, nous avons déjà prévu une dizaine d’installations d’ici fin juillet. Je pense donc que d’ici la fin de l’année nous allons dépasser largement nos objectifs.

Ensuite la prochaine étape c’est d’aller à l’international, en Chine. C’est un pays émergent, on a 1,5 accélérateur par million d’habitants, sachant qu’en France on en à 6 et qu’en Suède il y en a 12. Donc en fait on a un investissement massif et croyez moi en plus en Chine il y a beaucoup plus de cancers qu’en France parce qu’on fume beaucoup plus.

Aller à l’international c’est quelque chose qui est vraiment important et c’est l’objectif pour l’année d’après. En 2020 on va essayer de viser soit la Chine, soit les États-Unis, soit les deux avec le marquage soit en Chine, soit aux États-Unis avec FDA. Et probablement essayer d’aller plus loin encore dans tout ce qui est développement de solutions pour le cancer, dans sa globalité, pas que la radiothérapie, attaquer un autre domaine qui est également très important, qui est le domaine des pronostics. C’est à dire comment vous choisissez si vous avez plusieurs choix thérapeutiques pour un patient, quel est le meilleur choix thérapeutique possible. Est-ce que les données, est-ce que l’historique des patients qui avaient les mêmes symptômes peuvent vous donner des indices pour choisir le meilleur traitement.

Quand vous essayez de guérir le cancer, ce qui compte c’est le temps. Le plus tôt vous prenez la bonne décision, la plus grande est la probabilité que le patient y répondre. Si vous perdez du temps vous perdez des chances.

Donc l’idée de Therapanacea pour l’année à venir c’est aussi d’attaquer le marché des pronostics, en partenariat avec les boîtes pharmaceutiques, qui vont nous permettre de coupler un petit peu le thérapeutique avec le pronostic.

Pour finir, vos résultats impressionnent, mais vous, quelle est la dernière chose qui vous a bluffé en matière d’intelligence artificielle ?

Ce qui me bluffe c’est le nombre de sociétés qui sont en train d’être créées en IA. Et aujourd’hui ça devient très difficile pour un académique et surtout pour un académique de faire la différence entre les sociétés qui produisent des choses et les sociétés qui se servent de l’IA comme BlackBox pour faire des choses.

Donc je pense que le domaine est en train de vivre ce qu’on a vécu dans les années 90 avec Internet. Il y a une création de sociétés qui surfent sur la vague de l’IA qui est quand même impressionnant. Le marché est important mais en fait il faut quand même que derrière il y ait des technologies uniques, donc je pense qu’il va y avoir une période de consolidation.

Donc ce qui m’impressionne c’est le nombre de sociétés et le nombre de personnes qui s’auto-proclament experts en IA. À mon avis c’est unique au monde, on est passé de 0 expert en 2014 ou en 2013 à presque 100.000 experts au monde au bout de 3 ans. Donc ça veut dire l’homme est bien plus fort que l’IA car il peut apprendre en seulement 3 ans.

Nous tenons à remercier Nikos Paragios d’avoir accepté de répondre à l’ensemble de nos questions avec la plus grande sincérité et profitons de l’occasion pour rappeler que Thera Panacea est actuellement candidate (finaliste) au Prix startup EDF Pulse (clôture des votes : 26 septembre). N’hésitez pas à voter pour soutenir TheraPanacea.

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