Deviner l’orientation politique d’une personne d’après son visage peut sembler autant improbable qu’inquiétant. Trois chercheurs de l’Université de Stanford ont selon eux démontré que c’était pourtant possible et pour des évaluateurs humains et pour des algorithmes d’IA et ce, à partir d’images standardisées de visages inexpressifs. Pour eux, leurs résultats soulignent l’urgence pour les chercheurs, le public et les décideurs politiques de reconnaître et de traiter les risques potentiels de la technologie de reconnaissance faciale pour la vie privée.
Des recherches antérieures ont montré que les humains peuvent déduire l’orientation politique à partir d’images faciales, bien que cela puisse être influencé par des facteurs tels que la présentation de soi, l’expression faciale et les propriétés de l’image. Les algorithmes de reconnaissance faciale, quant à eux, ont atteint une précision encore plus élevée dans la prédiction de l’orientation politique, ce qui pose des questions sur la confidentialité et le contrôle des informations personnelles.
Les chercheurs de Stanford ont voulu déterminer dans quelle mesure ces prédictions reposent sur des traits faciaux stables plutôt que sur d’autres facteurs modifiables.
Echantillon de l’étude
Les 591 participants à cette étude ont été recrutés dans une grande université américaine privée et étaient âgés de 19 à 22 ans. Ils ont été photographiés en laboratoire dans des conditions standardisées, vêtus d’un t-shirt noir, sans maquillage, les cheveux tirés en arrière, même orientation de la tête devant un arrière-plan neutre, après avoir rempli un questionnaire où ils ont indiqué leur âge, leur sexe et leur orientation politique.
Méthodologie
Pour prédire l’orientation politique à partir des photos, les chercheurs ont utilisé l’algorithme de reconnaissance faciale VGGFace2 avec une architecture ResNet-50-256D, spécialement conçue pour extraire des informations pertinentes à partir d’images faciales. Ce réseau neuronal a été entraîné sur un vaste ensemble de données comprenant 9 131 individus et 3,3 millions d’images faciales, couvrant une variété de poses, expressions faciales, éclairages et autres caractéristiques.
Les images ont été converties en descripteurs de visage de 256 valeurs, uniques à chaque individu, capturant des traits distinctifs et stables du visage, bien que non interprétables par les humains en raison de leur complexité.
Ces descripteurs ont ensuite été utilisés dans une régression linéaire pour cartographier les caractéristiques du visage sur une échelle d’orientation politique, validée par une méthode de validation croisée pour éviter le surapprentissage.
Dans un second temps, ils ont demandé à des évaluateurs humains de déduire eux-aussi l’orientation politique des participants à partir des photos.
Ils ont également appliqué leur méthode pour prédire l’affiliation à un parti politique dans un échantillon très différent : des images de profil de 3 401 politiciens des États-Unis, du Royaume-Uni et du Canada.
Limitations
Les auteurs soulignent certaines limitations de leur étude : la jeunesse de l’échantillon, sa taille et le fait que les participants étaient majoritairement libéraux.
D’autre part, les images faciales en basse résolution et bidimensionnelles utilisées pour l’étude ne capturaient pas entièrement la complexité tridimensionnelle de l’apparence du visage. De plus, l’algorithme de reconnaissance faciale n’était pas spécialement conçu pour prédire l’orientation politique, ce qui pourrait limiter sa performance par rapport à un modèle dédié à cette tâche.
Résultats
Les résultats ont montré que les évaluateurs humains (corrélation r = 0,21) et l’algorithme de reconnaissance faciale (corrélation r = 0,22) étaient capables de prédire les scores d’orientation politique des participants sur une échelle décorrélée de l’âge, du sexe et de l’origine ethnique (α de Cronbach = 0,94). Lorsque l’algorithme a exploité des informations sur l’âge, le sexe et l’origine ethnique des participants, sa précision prédictive a été encore améliorée (corrélation r = 0,31).
Alors que les images des politiciens n’étaient pas standardisées, la performance réalisée (r ≈ 0,13) montre que les associations entre l’apparence faciale et l’orientation politique se généralisent au-delà de l’échantillon relativement jeune et libéral des participants américains recueillis dans cette étude.
Pour eux, ces résultats suggèrent que les technologies de surveillance biométrique généralisées sont plus menaçantes qu’on ne le pensait auparavant. Des algorithmes, bien que modérément précis, peuvent avoir un impact considérable lorsqu’ils sont appliqués à de grandes populations dans des contextes à enjeux élevés. Ils estiment que les universitaires, le public et les décideurs politiques devraient en prendre note et envisager de renforcer les politiques réglementant l’enregistrement et le traitement des images faciales.
Références de l’article :
“Facial Recognition Technology and Human Raters Can Predict Political Orientation From Images of Expressionless Faces Even When Controlling for Demographics and Self-Presentation”
American Psychologist https://doi.org/10.1037/amp0001295
Auteurs :
Michal Kosinski, Poruz Khambatta, Yilun Wang, Université de Stanford