Ce sont actuellement plus de 208 experts, professeurs, chercheurs et doctorants européens qui ont signé une lettre ouverte adressée à la Commission Européenne pour que soit fixé un cadre juridique innovant et fiable sur le développement tant de l’intelligence artificielle que de la robotique. Voici le contenu de cette lettre :
Nous, experts en Intelligence Artificielle et Robotique, leaders industriels, juristes, éthiciens, et professionnels de la santé, affirmons que la création de règles de droit européennes pour la robotique et l’intelligence artificielle est pertinente pour garantir un haut niveau de sécurité aux citoyens de l’Union européenne tout en favorisant l’innovation.
À mesure que les interactions entre l’homme et le robot deviennent de plus en plus répandues, l’Union Européenne doit offrir le cadre approprié pour renforcer les valeurs de la démocratie et de l’Union européenne. En effet, le cadre juridique de l’intelligence artificielle et de la robotique doit être exploré non seulement par des aspects économiques et juridiques, mais aussi par ses impacts sociétaux, psychologiques et éthiques. Dans ce contexte, nous sommes préoccupés par la Résolution du Parlement Européen sur les règles de droit civil sur la Robotique et par sa recommandation à la Commission européenne dans son paragraphe 59 f):
“La création, à terme, d’une personnalité juridique spécifique aux robots, pour qu’au moins les robots autonomes les plus sophistiqués puissent être considérés comme des personnes électroniques responsables de réparer tout dommage causé à un tiers ; il serait envisageable de considérer comme une personne électronique tout robot qui prend des décisions autonomes ou qui interagit de manière indépendante avec des tiers”.
Nous défendons que:
1. L’impact économique, juridique, sociétal et éthique de l’IA et de la robotique doit être considéré sans hâte ni parti pris. Le bénéfice pour toute l’Humanité devrait présider au cadre juridique posé par l’Union Européenne.
2. La création d’un statut juridique de “personne électroniques” pour les robots “autonomes”, “imprévisibles” et “auto-apprenants” est justifiée par l’affirmation erronée que la responsabilité de dommages causés serait impossible à prouver.
D’un point de vue technique, cette déclaration offre de nombreux biais basés sur une surévaluation des capacités réelles des robots les plus avancés, une compréhension superficielle des capacités d’imprévisibilité et d’auto-apprentissage et, probablement, une perception des robots déformée par la science-fiction et quelques communiqués de presse à sensation.
D’un point de vue éthique et juridique, créer une personnalité juridique pour un robot est inapproprié quel que soit le statut légal envisagé:
a. Un statut juridique pour un robot ne peut pas découler du modèle de la personne physique, puisque le robot aurait alors des droits humains, tels que le droit à la dignité, le droit à son intégrité, le droit à la rémunération ou le droit à la citoyenneté, s’affrontant ainsi directement avec les droits de l’Homme. Cela serait en totale contradiction avec la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne et la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
b. Le statut juridique d’un robot ne peut pas dériver du modèle de la personne morale, puisqu’elle implique l’existence de personnes physiques derrière elle pour la représenter et la diriger. Et ce n’est pas le cas pour un robot.
c. Le statut légal d’un robot ne peut pas dériver du modèle anglo-saxon du Trust aussi appelé Fiducie ou Treuhand en Allemagne. En effet, ce régime est extrêmement complexe, il exige des compétences très spécialisées et ne résoudrait pas la question de la responsabilité. Plus important encore, cela impliquerait toujours l’existence d’un être humain en dernier recours – le fiduciaire – responsable de la gestion du robot accordé avec un Trust ou une Fiducie.
En conséquence, nous déclarons que:
– L’Union européenne doit encourager le développement de l’industrie de l’Intelligence Artificielle et de la Robotique pour limiter les risques sur la santé et assurer la sécurité des êtres humains. La protection des utilisateurs de robots et des tiers doit être au cœur de toutes les dispositions légales de l’UE.
– L’Union européenne doit créer un cadre applicable pour le développement de l’IA et la robotique innovant et fiable dans l’objectif de créer de grandes avancées pour les peuples européens et le marché commun.
Parmi les 157 signataires de 14 pays de l’UE:
- Nathalie Nevejans, Professeur de Droit et membre de COMETS comité d’éthique du CNRS
- Raja Chatila, Président de IEEE, Global Initiative on Ethics of Autonomous and Intelligence Systems
- Noel Sharkey, Professeur Émérite en IA et Robotique (Royaume Uni)
- Margo Dessertenne, Directrice de l’organisation Symop division Robotique (270 grands groupes et PME)
- Max Dauchet, Président de la Commission d’Éthique du CERNA
- Serge Tisseron, psychiatre à l’Université Paris VII, Membre de l’Académie des Technologiques, Institut pour l’Étude des Interactions Robot-Machine IERHR
- Hugues Bersini, Professeur d’IA et co-Directeur de l’IRIDA Institut pour la recherche interdisciplinaire et le développement de l’IA et Membre de l’Académie des Sciences Belge
- Domenico G. Sorrenti Directeur du Laboratoire de Perception Robotique, Université de Milan
- Paolo Robuffo Giordano, Directeur de Recherche en Robotique au CNRS
- Jozef Glasa, Président du Comité d’Ethique sur Ministère de la Santé Slovaque, membre du Comité d’Ethique du Conseil de l’Europe
- Jean-Claude Heudin, Professeur d’Intelligence Artificielle à l’Université Paris Sud
- Jean-Paul Laumond, Directeur de Recherche au CNRS
- Thierry Magnin, Docteur en sciences physiques et en théologie, Recteur de l’université catholique de Lyon
- Jean-Michel Besnier, Professeur émérite de Philosophie à l’Université Paris-Sorbonne
- David Doat, Chaire Éthique et Transhumanisme à l’Université catholique de Lille
- François Chaumette, Chercheur à l’INRIA et expert en robotique
- Yvan Measson, CEA d’ISYBOT
- Malik Ghallab, Directeur de recherche émérite au CNRSS LAAS
- François Pellegrini, Professeur à l’Université de Bordeaux, chercheur au LaBRI et à l’INRIA
- Laurence Devillers, Professeur d’Intelligence Artificielle à la Sorbonne
- Jean-Paul Delahaye, Professeur émérite à l’Université de Lille, chercheur au CRISTAL
- Jérôme Durand-Lose, Professeur à l’Université d’Orléans
- Rachid Alami, Directeur de recherche au CNRS, Responsable de l’équipe Robotics and Interactions au LAAS-CNRS
- Christine Froidevaux, Professeur et Responsable du Master en Bioinformatique à Paris-Saclay