Courir en utilisant une application qui analyse nos performances et nous fait des recommandations est devenu courant. Les solutions technologiques autour du sport de loisir ou professionnel se sont développées, contribuant à faire évoluer l’industrie du sport et les métiers qui s’y rattachent. L’intelligence artificielle fait partie des outils mis en œuvre. Parfois avec plus ou moins de bonheur : en novembre dernier, l’équipe de football écossaise Inverness Caledonian Thistle FC retransmettait un match en direct grâce au système Pixellot utilisant des caméras avec technologie IA intégrée de suivi de balle… or l’algorithme a confondu le ballon avec la tête, chauve, d’un juge de touche pendant une grande partie du match !
Dans le cadre des jeux olympiques 2024, nous vous offrons chaque jour un article issu du magazine ActuIA n°4, dont le dossier principal est “Le sport à l’ère de l’IA”. Afin de découvrir le magazine ActuIA, nous vous invitons à vous rendre sur notre boutique. Tout nouvel abonnement d’un an vous donne droit à l’ensemble des archives au format numérique.
Les algorithmes déployés vont du recrutement au marketing, de l’entraînement à la fidélisation des fans. Détection, vision par ordinateur, interaction homme-machine, prédiction, visualisation et analyse de données, ou encore traitement automatique du langage ont trouvé leur place dans l’analyse de la performance sportive et plus généralement du mouvement humain. Les solutions et les projets de recherche sont nombreux pour le sport professionnel autant qu’amateur, tout comme pour les Jeux olympiques et paralympiques.
IA et sport, un enjeu français pour les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024
À l’occasion des Jeux olympiques et paralympiques qui se tiendront en 2024 à Paris, plusieurs projets ont été lancés pour mettre les sciences au service des sportifs de très haut niveau. De cet objectif de réussite, de rayonnement international pour le sport français, d’un doublement du nombre de médailles pour les JO, de l’obtention de quinze médailles d’or pour les Jeux paralympiques, est né « Sciences 2024 ». Ce programme, porté par le CNRS, le Centre national des sports de la défense (CNSD) et avec l’appui de onze grandes écoles françaises, veut répondre aux défis tricolores et mobiliser chercheurs et étudiants pour soutenir les athlètes, leurs entraîneurs et les fédérations. Neuf défis thématiques couvrant tous les champs de la performance sportive de très haut niveau ont été présentés, parmi lesquels la prévention et le traitement des facteurs de risque, les interactions homme-matériel et l’optimisation du matériel, l’apprentissage et l’optimisation du geste sportif, ou encore les big data et l’intelligence artificielle au service de la performance.
L’Agence nationale du sport (ANS) et l’INSEP ont également développé un programme national sur les données dans le sport de haut niveau nommé Plan national data (PND) et lancé le « Sport Data Hub », plateforme de service dédiée à la data, dans le but de détecter les potentiels sportifs, de réaliser une veille et une analyse de la concurrence, d’optimiser la préparation individuelle ou collective, et d’améliorer la performance du sport français. Atteindre la plus haute performance possible chez les sportifs de haut niveau en mobilisant la communauté scientifique est également au cœur du Programme prioritaire de recherche (PPR) « Sport de très haute performance » (STHP), doté de vingt millions d’euros et piloté scientifiquement par le CNRS. Plusieurs projets ont d’ores et déjà été sélectionnés et financés par l’Agence nationale de la recherche (ANR).
Objets connectés, portabilité et systèmes embarqués pour la collecte de données
À l’évocation des termes intelligence artificielle, surgit l’idée de données, utilisées depuis de nombreuses années dans le sport. Chacun se souvient du film Le Stratège de Bennett Miller, sorti en 2011, avec Brad Pitt dans le rôle de Billy Beane, manager général de l’équipe de baseball des Oakland Athletics, connu pour avoir révolutionné la pratique de ce sport en s’appuyant sur l’approche statistique, dite sabermétrique (de Society for American Baseball Research – SABR). Les avancées en matière de capteurs et d’objets connectés, la réduction des coûts de stockage et le développement de l’IA permettent aujourd’hui d’aller bien plus loin dans la collecte et l’analyse des données.
Selon les disciplines, les capteurs s’intègrent dans les équipements, les vêtements et le matériel. Les sociétés Catapult Sports et STATSports travaillent avec la Fédération française de football, le Real Madrid ou encore Manchester United pour développer des vêtements connectés et des dispositifs portables afin de collecter des données sur les joueurs. C’est aussi le cas de la startup PIQ Sport Intelligence qui utilise PIQ Robot et son IA baptisée Gaia dans de nombreux sports comme le ski, le kitesurf, la boxe, le golf ou encore le tennis. Force de frappe, vitesse de service, précision, les capteurs mesurent et analysent les performances et mouvements pour fournir en temps réel des données pertinentes aux sportifs concernant leurs winning factors.
SensiML, filiale de QuickLogic, propose depuis décembre dernier le SensiML Analytics Toolkit, plateforme de développement pour des capteurs intelligents permettant de collecter et de traiter les données nécessaires au machine learning au plus « bas niveau ». Le sport automobile, notamment la F1, a lui aussi investi dans l’IA. Les voitures sont désormais équipées de plusieurs capteurs à objectifs multiples : amélioration des performances, en amont et durant les courses, détection des anomalies, etc. Les données obtenues permettent également de concevoir des stratégies optimales durant les arrêts aux stands, le choix des pneumatiques, etc. Pour renforcer sa compétitivité, Red Bull mise par exemple sur les capacités d’apprentissage automatique et d’analyse des données d’Oracle Cloud Infrastructure pour optimiser l’utilisation de ses données, lors des opérations sur la piste ou durant le partage d’informations avec sa communauté mondiale de fans. Autre exemple chez Williams F1, la direction a confié l’exploitation de ses données à Acronis, qui utilise ses solutions pour lutter contre les cyberattaques et apporter une cyberprotection à l’équipe.
L’image, un outil crucial
Mais il ne s’agit pas seulement de systèmes embarqués et de capteurs, l’image est également centrale. Gipsa-lab, unité de recherche CNRS – université de Grenoble-Alpes, travaille par exemple sur les thématiques de la reconstruction du mouvement à partir de captures vidéo sans marqueur (image, géométrie), de l’utilisation d’approches d’intelligence artificielle pour l’analyse du geste (apprentissage, optimisation), de l’utilisation de la robotique volante (drones) pour la capture du mouvement humain ou animal et de la convergence monde numérique – monde réel (réalité virtuelle, augmentée). Aux États-Unis par exemple, le dataset de NBA.com/Stats permet de remonter à la saison NBA 1996-97. La fédération collecte et partage depuis 2013 un grand nombre de variables grâce à des systèmes de tracking installés directement dans ses arénas.
Bien sûr, le sport de haut niveau utilise également l’analyse vidéo, grâce à la vision par ordinateur et le machine learning, notamment comme vecteur de communication et outil d’analyse de jeu. Patrick Sayd du CEA-LIST a présenté cette approche au cours de la Journée du GDR Sport et IA, le 27 janvier dernier.
« Au niveau technique, l’image tient une place à part parmi les données que peut traiter l’IA. En effet, le volume de données est conséquent et les informations y sont hétérogènes et non structurées. Les algorithmes doivent détecter, extraire, cumuler et interpréter ces informations pour remonter à la connaissance, à la compréhension des situations observées […]. Les progrès fulgurants apportés par les techniques d’apprentissage profond permettent d’envisager de nouvelles formes d’analyse du jeu encore plus ciblées, plus approfondies et réellement au service des entraîneurs ». L’analyse vidéo au service du football est le fer de lance de la startup parisienne SkillCorner. Créée en 2016, elle fournit de la data sportive de manière automatique et développe des algorithmes de tracking et de détection en temps réel des objets mouvants (joueur, ballon, arbitre) sur l’image : les localiser, les suivre image après image et les reconnaître. Plusieurs clubs de football, comme le Liverpool FC, utilisent ces outils qui permettent de collecter des données, mais également de mettre en lumière des points-clés pouvant améliorer l’aide à la décision. SkillCorner n’est pas l’unique startup travaillant dans ce domaine, citons également FootoVision et son logiciel d’exploration de données, à destination des professionnels et des fans. Celui-ci opère à partir des images retransmises et fournit des statistiques sur les matchs telles que la vitesse et les déplacements des joueurs sur le terrain Ou encore Seattle Sports Science, spécialisée dans l’analyse vidéo. Grâce aux algorithmes de machine learning de sa solution ISOTechne, l’entreprise utilise des caméras 4K pour collecter et analyser les variables des matchs.
Dans le cadre de sa collaboration avec l’équipe espagnole de football de Malaga, l’outil a pu analyser la rotation du ballon, les passes réussies et ratées, les réceptions, le jeu collectif, les compétences individuelles, etc.
Pour être précis, ce type de logiciel doit être entraîné sur le plus grand nombre d’images possible, dans toutes les conditions météorologiques et d’éclairage, avec différents types de vêtements, de ballons et de physiques des joueurs. À Pau, la startup ST37 s’est spécialisée dans le vidéo-arbitrage en proposant une caméra intelligente et robotisée qui s’applique à l’escrime, au canoë-kayak et aux sports équestres. Elle a également déployé des solutions autonomes et abordables de vidéo-training et de vidéo-streaming sur la même logique que celle du vidéo-arbitrage : IA, robotisation, temps réel, interprétation du geste sportif. La société paloise a aussi présenté au CES 2021 (en virtuel) la plateforme PaaSport permettant de partager des activités sportives au sein d’une communauté. Grâce à un arbitre et un entraîneur pilotés par l’IA, les athlètes peuvent ainsi s’affronter à distance. Ces outils de collecte de données ont de nombreuses applications. Détection de talents, aide à la décision pour les entraîneurs et les athlètes, systèmes prédictifs, lors des entraînements mais aussi en temps réel. Oscar, le robot intelligent qui a équipé les skippers du Vendée Globe 2020 a permis, grâce à ses caméras, de repérer les objets pouvant provoquer une collision. L’IA permet également d’anticiper les dysfonctionnements, comme dans les courses de NASCAR, afin d’améliorer la sécurité dans ce sport automobile à risque.
Témoignage d’Ilyes Talbi, Data scientist freelance :
« Le tracking vidéo se fait généralement à l’aide de petites caméras installées dans les stades à l’occasion de matchs importants. Je trouve regrettable que ces données ne soient pas ouvertes, c’est un énorme gâchis. Je travaille sur un outil qui s’appuie sur les vidéos de retransmission TV des matchs, qui consiste en un enchaînement de modèles de computer vision : YOLO pour la reconnaissance de joueurs, un modèle de détection de keypoints pour retrouver les lignes du terrain, un algorithme qui permet de calculer l’homographie pour passer des coordonnées des joueurs en pixels aux coordonnées 2D et enfin un modèle de réidentification pour tracker les joueurs et retrouver leur trajectoire complète. Évidemment, cette approche a ses limites : pas de données sur les joueurs non visibles à l’écran, et pas d’informations sur la hauteur du ballon par exemple. Elle permet néanmoins de démocratiser l’analyse vidéo. »
Des outils automatiques de détection de talents
Dans le sport professionnel, le marché des transferts génère des milliards. En football, la FIFA a évalué les dépenses en 2019 à 6,7 milliards d’euros, soit 5,8% de plus qu’en 2018. Les fédérations et les clubs professionnels s’intéressent donc de plus en plus aux outils IA pour le recrutement, dont la détection de talents automatique, plus connue sous l’appellation scouting.
L’analyse des données de performance et la prédiction permettent d’obtenir selon les experts des résultats plus fiables et de déterminer à la fois le potentiel de l’athlète, son impact potentiel sur le club et sa valeur marchande. En cyclisme, plusieurs équipes utilisent des programmes de détection de talents s’appuyant sur le nettoyage et l’analyse de données issues de data lakes et de remontées d’informations d’entraînements. C’est par exemple le cas d’Arkéa-Samsic qui a fait signer deux jeunes coureurs à partir d’une liste de dix coureurs établie par le programme développé en collaboration avec AWS / Teamwork. La société britannique Sentient Sport, soutenue par l’université de Southampton, propose elle aussi des outils basés sur l’IA pour optimiser les recrutements de talents et proposer des techniques d’analyse des tactiques à utiliser dans les sports collectifs. Concrètement, il s’agit de créer une base de données à partir des données individuelles des athlètes et de leurs performances et de l’enrichir avec d’autres statistiques et métriques précises et pertinentes. L’intelligence artificielle va permettre d’une part d’ajouter des informations grâce à l’analyse des activités, des entraînements et de créer un modèle pour détecter certains comportements afin de cibler tel ou tel athlète en fonction de ses performances et de son potentiel.
L’identification et l’évaluation des potentialités de performance de l’ensemble des sportifs français a été définie comme un enjeu prioritaire en vue des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Le projet DETECT (DETection et Estimation des Champions et des Talents) de l’INSEP, réalisé en collaboration avec l’ANS, s’articule autour de la création, la validation d’outils d’estimation et de visualisation des potentiels, et l’estimation de l’obtention de médailles des athlètes.
Outils d’aide à la décision pour la progression et la performance individuelle et collective
Au-delà de la détection de talents, l’IA s’est progressivement imposée comme un outil d’accompagnement pour les athlètes de tous niveaux et de toutes disciplines. En course à pied, on a vu apparaître ces dernières années des produits permettant aux coureurs de se perfectionner. Grâce à des capteurs de semelles comme ceux de Digitsole ou à des applications spécifiques, les sportifs peuvent mieux analyser leur course, les mouvements de leurs pieds, leurs appuis, et être coachés en fonction de leurs objectifs. Les outils prédictifs développés pour cette pratique sont intéressants car plus simples à développer que des outils pour des sports où les mouvements sont moins stéréotypés. De nombreux sports ont vu les bénéfices de ce type d’outils, comme le golf avec l’exemple du caddie intelligent Hello Birdie qui propose aux golfeurs une stratégie de jeu personnalisée pour qu’ils puissent progresser. Gautier Stauffer, professeur de gestion des opérations et supply chain à l’école de commerce Kedge, travaille également sur un projet de jumeaux numériques pour les golfeurs professionnels, un exemple d’évaluation et d’optimisation des performances pour les professionnels du PGA Tour.
Autre exemple : la natation, où les performances des athlètes sont scrutées à la milliseconde près, avec le projet de recherche NePTUNE – Natation et Paranatation, porté par Ludovic Seifert (Université de Rouen-Normandie) et Rémi Carmignani (École nationale des ponts et chaussées) et qui porte sur la performance des nageurs autour de l’apprentissage et de l’optimisation du geste sportif, l’utilisation des données et l’intelligence artificielle. Également lauréat de l’appel à projets STHP, son objectif est d’accompagner les entraîneurs et de maximiser les chances de médailles pour l’équipe de France de natation.
L’IA est également de plus en plus utilisée lors de l’entraînement des athlètes, notamment dans l’aide à la décision en temps réel dans les matchs. En football, l’aide à la décision est évidemment un sujet récurrent depuis plusieurs années. En 2019 l’École polytechnique et le Paris Saint-Germain ont proposé le Sports Analytics Challenge pour développer un algorithme d’analyse pouvant prédire la suite d’un match. Les entraîneurs ont désormais des outils pour élaborer leur stratégie à partir d’une part de l’analyse des performances, forces et faiblesses de leurs athlètes, individuellement ou collectivement, et d’autre part de l’analyse de celles de leurs adversaires.
Le coaching traditionnel tend donc à évoluer. En analysant des variables comme l’historique des matchs, les statistiques individuelles et collectives, les conditions etc. et en calculant des scénarios prévisionnels, puis en passant par de la simulation statistique, ce type d’outils pourrait proposer des stratégies et permettre à un entraîneur d’interagir avec le programme via la reconnaissance vocale automatique et le traitement du langage naturel.
Ces algorithmes pourraient également permettre aux utilisateurs de simplement poser une question au programme pour obtenir une réponse quant à la meilleure stratégie à adopter en temps réel ou aux changements à mettre en place. Ces statistiques deviennent fondamentales pour l’optimisation des entraînements, utiles pour les entraîneurs comme pour les athlètes.
L’IA au service de l’e-santé grâce à l’aide au diagnostic et à la prédiction des blessures
La santé des sportifs, professionnels et amateurs, est une question centrale qui intéresse de près les chercheurs et les entreprises. Grâce aux données recueillies par les capteurs et les applis, des algorithmes de deep learning permettent désormais d’analyser des variables aussi différentes que les performances, les entraînements, les antécédents de blessures, l’hygiène de vie pour en extraire de l’analyse de santé prédictive. La modélisation du risque de blessure chez les sportifs professionnels est au cœur des recherches de Pierre Druilhet, du Laboratoire de mathématiques Blaise Pascal (CNRS et université Clermont-Auvergne), qui indique : « Les sportifs professionnels font l’objet d’un suivi longitudinal rigoureux de leur condition physique. Les données générées permettent de construire des modèles de prévisions de blessure s’appuyant sur les données de la littérature et les données individuelles.
À partir du suivi d’une équipe de football professionnelle, nous comparons différents modèles de prévision en évitant à la fois le sur-apprentissage et l’utilisation de modèles trop rigides.
Les techniques d’IA ou d’apprentissage automatique permettent d’améliorer les qualités prédictives des modèles classiques surtout lorsque la proportion de blessure est relativement faible ». Citons également le système de Sparta Science, utilisé par plusieurs équipes et qui s’intéresse lui aussi à la prédiction de blessures afin de les anticiper.
Ces techniques sont également intéressantes pour les sportifs amateurs. En matière de running par exemple, de plus en plus d’entreprises travaillent sur la prédiction des blessures, comme l’application Running Care qui propose d’identifier les diagnostics les plus probables parmi les pathologies liées à la pratique du running.
L’entreprise compte aller plus loin dans l’analyse de santé prédictive et utiliser le machine learning pour optimiser les diagnostics, prédire les blessures en fonction de l’historique et du profil des coureurs et leur proposer des exercices adaptés, des conseils et programmes santé.
Témoignage de Jérémy Cheradame, Data scientist en thèse CIFRE à la Fédération Française de Rugby :
Jérémy Cheradame est le seul Datascientist de la Fédération française de Rugby, il travaille en collaboration avec des sport scientists, spécialistes du sport formés à la data, afin d’accompagner clubs et équipes de France dans leur projet de performance.
« J’ai à la fois une activité de recherche sur la prévention des blessures dans le rugby avec des laboratoires auxquels je suis rattaché, et une activité de datascientist au sein de la fédération, pour laquelle je travaille sur tous les sujets entourant la performance. La prévention de blessures est un sujet assez complexe. Nous utilisons des méthodes de Machine Learning pour tenter d’anticiper certaines blessures et adapter au mieux la charge de travail. La difficulté tient tant à la nécessité d’obtenir suffisamment de données à l’échelle des clubs qu’aux particularités de ce sport, qui rend les blessures difficilement prévisibles. Les modèles sur lesquels nous travaillons nous permettent de tenir compte de données tel que le poste, âge, certaines fragilités et caractéristiques des joueurs. Le rugby est un sport précurseur dans l’utilisation de la Data sur le terrain : les clubs utilisent les capteurs GPS depuis plus d’une dizaine d’années pour suivre les joueurs, que ce soit en entraînement ou en match. Ces capteurs incluent également un accéléromètre et un cardiofréquencemètre. De récentes avancées dans les algorithmes de traitement des données des capteurs nous permettent d’obtenir une quantification des contacts. Suite à une consultation récente, une harmonisation des capteurs a été décidée, ce qui va beaucoup faciliter les échanges au niveau de la fédération pour des projets tels que celui de la prévention des blessures. Bien sûr, les joueurs et leur ressenti ont une place centrale, nous nous appuyons donc sur des questionnaires subjectifs d’état de forme avant séance et de ressenti après séance. Nous nous appuyons également sur des données de tests physiques et de marqueurs biologiques permettant de connaître les dommages musculaires des joueurs. Le tracking vidéo est également employé, mais nous sommes plus limités que des sports comme le football, car il est difficile d’identifier et conserver le tracking des joueurs lors de contacts ; ces technologies offrent cependant elles aussi de nombreuses opportunités : Nous travaillons notamment avec le CEA sur la détection des postures telles que les mains sur les hanches, sur les genoux ou sur la tête, qui peuvent être les premiers signes de fatigue ou des signes parasites auxquels les coachs sont très attentifs. Enfin, la vidéo a pour intérêt de nous fournir des informations sur les équipes adverses, puisque nous n’avons pas accès à leurs données GPS : distances de passes, catégorisation de patterns afin de détecter les séquences qui aboutissent à un franchissement, etc.. ce qui nous permet de créer des dashboards à destination des analystes et de répondre aux questions des coachs. »
Un essor qui n’est pas exempt d’ambiguïtés et de questionnements
Le marché des solutions technologiques, que ce soit pour le sport loisir, le développement personnel ou le sport professionnel, a connu un véritable essor, dans le lancement de sports innovants, comme les courses de drones, ou en matière d’optimisation des performances, d’entraînement, etc. La perspective des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 a évidemment créé une forte émulation en France mais la recherche dans ce domaine n’est pas récente et la France n’est pas un cas unique, loin s’en faut.
Les chercheurs, entreprises et incubateurs qui s’intéressent au sujet voient émerger en parallèle de nouvelles questions et ambiguïtés, notamment éthiques, quant à la monitorisation et l’utilisation des données personnelles et corporelles, leur exploitation à grande échelle, par des adversaires par exemple ou encore le cadre légal de ces informations liées au corps individuel.
Car le sport, outre sa rentabilité au sein d’un marché en croissance, est aussi un spectacle ultra médiatisé, composé de gagnants et de perdants, mais aussi de plaisir, de talent, de surprise et d’abnégation, et bien sûr d’émotion.
Sans oublier l’importance de l’intuition et de ce que les statistiques et les données n’analysent peut-être pas. Peut-on tout modéliser ? Peut-on modéliser ce que certains appellent la beauté du sport ? L’intelligence artificielle appliquée au sport, comme à tous les domaines, pose des questions philosophiques et éthiques autant qu’elle apporte à des pratiques en les réinventant.
Cet article est extrait du magazine ActuIA. Afin de ne rien manquer de l’actualité de l’intelligence artificielle, procurez vous ActuIA n°16, actuellement en kiosque et sur abonnement :