Imaginez un ordinateur qui utilise des cellules cérébrales humaines au lieu de neurones artificiels pour fonctionner. C’est l’idée derrière l’informatique humide, également connue sous le nom de wetware ou d’intelligence organoïde, un domaine de recherche émergent qui combine l’électrophysiologie et l’IA. FinalSpark, une start-up suisse, pionnière de cette technologie innovante, a développé une neuroplateforme, opérationnelle depuis 4 ans, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, permettant aux chercheurs de mener des expériences à distance sur des neurones biologiques in vitro.
Fondée en 2014 par Fred Jordan et Martin Kutter, basée à Vevey, FinalSpark s’est donné pour objectif de développer le premier processeur vivant au monde en utilisant des organoïdes cérébraux humains.
Qu’est-ce que les organoïdes cérébraux ?
En 2006, le Dr. Shinya Yamanaka et son équipe à l’Université de Kyoto, au Japon, ont réussi pour la première fois à reprogrammer des cellules somatiques adultes (comme des cellules de la peau) en cellules souches pluripotentes induites (iPSCs). Cette technique révolutionnaire permet à ces cellules reprogrammées de se comporter comme des cellules souches embryonnaires, capables de se différencier en presque n’importe quel type de cellules, y compris en neurones. Une découverte qui lui a d’ailleurs valu de recevoir le prix Nobel de médecine en 2012.
L’année suivante, le Dr. Madeline A. Lancaster s’appuyait sur ses travaux pour créer des modèles tridimensionnels complexes du cerveau humain, ou organoïdes cérébraux. Ces “mini-cerveaux” peuvent permettre aux chercheurs de comprendre comment le cerveau humain se développe au niveau cellulaire et moléculaire et d’étudier les maladies cérébrales, comme l’autisme, la schizophrénie ou la maladie d’Alzheimer, et tester de nouveaux traitements.
FinalSpark les utilise pour effectuer des calculs. L’organoïde cérébral dont il fournit la photo ci-dessous a été construit à partir de 10 000 neurones vivants et mesure environ 0,5 mm de diamètre.
La Neuroplateforme
L’objectif de FinalSpark est de développer un bioprocesseur. Sa plateforme compte 4 réseaux multi-électrodes (MEA), conçus par le laboratoire du professeur Roux de la Haute Ecole du Paysage, d’Ingénierie et d’Architecture (HEPIA), chacun pouvant accueillir 4 organoïdes et 8 électrodes par organoïde. On peut d’ailleurs les voir fonctionner en direct sur son site.
Selon FinalSpark, qui met en avant le potentiel d’économie d’énergie de la bio-informatique, il reste des défis à surmonter avant que le premier ordinateur humain ne voie le jour :
“Utiliser des neurones vivants pour construire des bioprocesseurs de nouvelle génération n’est pas une tâche facile. Malgré tous les avantages, tels que l’efficacité énergétique, l’évolutivité et la capacité éprouvée à traiter l’information, les bioprocesseurs à partir de neurones vivants sont difficiles à développer.
Nous ne savons toujours pas comment les programmer. Contrairement aux ordinateurs numériques, les bioordinateurs sont de véritables boîtes noires. Pour cette raison, nous avons besoin de beaucoup d’expérimentations pour les faire fonctionner. Mais si nous trouvons le moyen de contrôler ces boîtes noires, elles peuvent devenir des outils informatiques vraiment puissants”.
La plateforme est gratuite à des fins de recherche, d’ailleurs une trentaine d’universités ont déjà manifesté leur intérêt. L’infrastructure actuelle de la start-up ne lui permet d’accueillir que 7 groupes de recherches, compte tenu également de ses propres besoins, mais FinalSpark se dit prête à la développer dans le but commun d’élaborer le premier processeur vivant au monde.
Fred Jordan, cofondateur de FinalSpark, affirme :
“Nous sommes fermement convaincus qu’un objectif aussi ambitieux ne peut être atteint que par une collaboration internationale”.
Une publication scientifique décrivant l’architecture du système et fournissant des exemples spécifiques d’expériences et de résultats intitulée « Open and remotely accessible Neuroplatform for research in wetware computing », est disponible dans la revue Frontiers.
Des informations complémentaires sur la neuro-plateforme et la procédure de demande à suivre par les établissements de recherche sont disponibles sur le site web de FinalSpark à l’adresse https://finalspark.com/neuroplatform.