L’IFRI publie une étude esquissant le modèle de la smart city européenne

C’est dans le contexte du Smart City Expo World Congress 2022, que l’IFRI, l’Institut Français des Relations Internationales, a publié, le 16 novembre dernier, l’étude « Ni surveillance, ni consumérisme algorithmique. Vers un modèle européen alternatif pour les villes intelligentes ». Jacques Priol, président et fondateur du cabinet CIVITEO, et Joé Vincent-Galtié, consultant au sein de ce même cabinet, y dessinent la smart city européenne, éloignée des modèles chinois ou nord-américains.

Cette étude fait suite au rapport « De la smart city à la réalité des territoires connectés », auquel Jacques Priol et Joé Vincent-Galtié avaient participé, qui visait à définir un modèle français du territoire intelligent. Près de 200 projets avaient été identifiés, déployés dans des villes de toutes tailles, y compris en territoire rural. Très variés, leurs méthodes de déploiement l’étant tout autant, ils ont permis aux auteurs de constater que le modèle français n’existait pas encore.

L’étude esquisse les contours d’un possible modèle européen évitant les erreurs de deux modèles qui  font l’unanimité contre eux : celui porté par la Chine et celui mis en œuvre par certaines villes nord-américaines.

Le modèle de surveillance chinois

En 2011, le 12ème plan quinquennal évoquait pour la première fois le souhait du Parti communiste chinois de développer des villes numériques. Aujourd’hui, plus de 800 projets de villes intelligentes en Chine ont vu le jour.

Si les thématiques abordées par les projets sont diverses, de la gestion de déchets à la lutte contre les incendies, l’axe sécuritaire est prédominant, la population sans cesse surveillée. Le modèle repose sur un vaste système d’identification et de reconnaissance, incluant la reconnaissance faciale dans l’espace public, et permet l’instauration d’un crédit social.

Il est inacceptable socialement et incompatible avec les principes d’une société démocratique, dont la législation assure une protection de la vie privée et des données personnelles. Pourtant, La Chine tente de l’exporter, y compris en Europe à travers
des initiatives comme le Huawei Online Smart City Tour organisé en 2020 en France.

Un modèle consumériste nord-américain d’inspiration californienne

Un modèle d’un autre genre, principalement promu par des entreprises américaines
déployé dans de nombreuses villes (Los Angeles, San Francisco, Santa Cruz, Seattle, Austin…), allie modélisation algorithmique, optimisation de la gestion des grandes fonctions urbaines, mais aussi police prédictive, recours à des services privés exploitant massivement l’espace public, arrivée de nouveaux acteurs et “ubérisation” de ces services, c’est-à-dire une gestion éclatée de ces services par des acteurs privés multiples…

Ce modèle est inspiré de quelques premières expériences californiennes qui mettent la technologie, et tout particulièrement la data science et dorénavant l’intelligence artificielle (IA), au service d’une gestion doublement optimisée de l’action publique.

Le rapport cite l’exemple de Google qui a investi près de 50 millions de dollars de R&D pour la préparation d’un projet très novateur de ville entièrement pilotée par la donnée : gestion énergétique optimisée, construction à faible impact carbone, gestion individualisée des flux de déchets, voirie; modulable selon les besoins aux différentes heures de la journée, pilotage météo sensible des infrastructures…

La gestion des données a été l’objet de nombreuses critiques, d’autant plus que Google refusait de les anonymiser. Il a d’ailleurs préféré abandonner le projet.

La smart city,  au cœur de luttes géopolitiques

Pour les auteurs du rapport, une lutte géopolitique pour imposer un modèle de smart city est d’ores et déjà engagée : la gestion des villes est un outil de soft power, la smart city, un objet géopolitique.

La campagne de communication engagée par l’Arabie Saoudite l’été dernier autour du projet The Line de NEOM l’illustre parfaitement. Une ville verticale de 500 mètres de haut pour 200 de large, étirée sur 170 kilomètres devrait être construite pour un coût total supérieur à 500 milliards d’euros.

L’Afrique est l’un des espaces majeurs de la confrontation des modèles de smart city : le modèle d’une société de surveillance monitorée promu par la Chine y affronte celui d’une ville intelligente au service de la durabilité promu notamment par la France dans le cadre de la Smart Africa Alliance.

Un modèle européen alternatif

Après avoir montré les exemples à ne surtout pas suivre, s’être tournée vers des exemples dont le modèle européen pourrait s’inspirer (territoires intelligents français : Dijon, Caen, Montréal, Helsinki, Séoul…), l’étude esquisse les contours du possible modèle européen.

S’il émerge, il aura pour pierre angulaire la protection de la vie privée et reposera sur l’application stricte du  RGPD dans la gestion urbaine. Les valeurs, les principes, les méthodes et les outils qui ont aujourd’hui la faveur des élus locaux rencontrent de multiples initiatives européennes en cours d’élaboration, et notamment les Data Act, Data Gouvernance Act et Artificial Intelligence Act.

Les outils devront être mis en commun en ayant massivement recours à l’open source garantissant interopérabilité, transparence et souveraineté. Ce futur modèle permettra de préserver la confiance des citoyens, maintiendra des relations humaines et évitera la création de nouvelles fractures numériques avec les citoyens. Il sera durable, tout en restant sobre (y compris dans la gestion des données).

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