Le modèle de Hubbard est un modèle étudié en théorie de la matière condensée et un problème quantique redoutable. Une équipe de physiciens a utilisé le deep learning pour condenser ce problème qui nécessitait auparavant 100 000 équations, en seulement quatre équations, sans sacrifier la précision. L’étude intitulée « Deep Learning the Functional Renormalization Group » a été publiée le 21 septembre dernier dans Physical Review Letters.
Dominique Di Sante est l’auteur principal de cette étude. Depuis 2021, il occupe le poste de Professeur adjoint (tenure track) au Département de physique et d’astronomie, à l’Université de Bologne. Parallèlement, il est Professeur invité au Centre de physique quantique computationnelle (CCQ) du Flatiron Institute, à New York dans le cadre d’une bourse « Actions Marie Sklodowska-Curie » (MSCA) qui encourage entre autres la mobilité des chercheurs.
Avec des collègues du Flatiron Institute et d’autres chercheurs internationaux, il a mené cette étude qui a le potentiel de révolutionner la façon dont les scientifiques étudient les systèmes contenant de nombreux électrons en interaction. En outre, s’il réussissent à adapter cette méthode à d’autres problèmes, l’approche pourrait contribuer à la conception de matériaux possédant des propriétés recherchées, par exemple la supraconductivité, ou concourant à une production d’énergie propre.
Le modèle de Hubbard
Ce modèle étudié en théorie de la matière condensée a été introduit par John Hubbard en 1963. Il décrit des fermions (généralement des électrons) sur un réseau (en général les atomes qui forment un solide), qui interagissent seulement quand ils se trouvent sur le même site (c’est-à-dire sur le même atome).
Avec l’utilisation de cette configuration, les scientifiques peuvent découvrir comment le comportement des électrons donne lieu à des phases souhaitées de la matière, telles que la supraconductivité, dans laquelle les électrons se déplacent à travers un matériau sans résistance. Le modèle est également utilisé pour tester de nouvelles méthodes avant de les appliquer à des systèmes quantiques plus complexes.
Le modèle de Hubbard est cependant d’une simplicité trompeuse. S’il est possible de le résoudre pour une seule dimension, au-delà, il n’existe pas de solution exacte.
D’autre part, même pour un petit nombre d’électrons et des approches informatiques de pointe, le problème nécessite une puissance de calcul sérieuse. En effet, lorsque les électrons interagissent, leurs destins peuvent devenir intriqués mécaniquement quantiquement : bien qu’éloignés sur différents sites de réseau, les électrons ne peuvent pas être traités individuellement, de sorte que les physiciens doivent traiter tous les électrons à la fois plutôt qu’un par un. Avec plus d’électrons, plus d’intrications apparaissent, et le défi informatique devient exponentiellement plus difficile…
Groupe de renormalisation et deep learning
Une façon d’étudier un système quantique est d’utiliser ce qu’on appelle un groupe de renormalisation. Introduit en 1963, ce dernier a été développé principalement par Kenneth Wilson, qui a reçu le prix Nobel en 1982 pour ses contributions. Il s’agit d’un ensemble complexe de transformations qui démontre comment le comportement collectif observé dans les systèmes critiques peut résulter d’interactions microscopiques et a notamment joué un rôle crucial dans l’étude des transitions de phase.
Les physiciens l’utilisent pour examiner comment le comportement d’un système, tel que le modèle de Hubbard, change lorsque les scientifiques modifient des propriétés telles que la température ou examinent les propriétés à différentes échelles. Malheureusement, un groupe de renormalisation garde une trace de tous les couplages possibles entre les électrons et peut contenir des centaines de milliers voire des millions d’équations individuelles qui doivent être résolues.
Di Sante et ses collègues ont décidé d’utiliser le deep learning pour mieux gérer le groupe de renormalisation. Au départ, le réseau de neurones crée des connexions au sein du groupe de renormalisation en taille réelle, puis ajuste les forces de ces connexions jusqu’à ce qu’il trouve un petit ensemble d’équations qui génère la même solution que le groupe de renormalisation original. La sortie du programme a capturé la physique du modèle hubbard avec seulement quatre équations.
L’entraînement de l’algorithme de deep learning a pris de longues semaines. La bonne nouvelle, selon Di Sante, c’est que maintenant qu’ils ont leur programme coaché, ils peuvent l’adapter pour travailler sur d’autres problèmes sans avoir à repartir de zéro. Lui et ses collaborateurs étudient également ce que l’apprentissage automatique « apprend » réellement sur le système, ce qui pourrait fournir des informations supplémentaires qui pourraient autrement être difficiles à déchiffrer pour les physiciens.
Sources de l’article :
« Deep Learning the Functional Renormalization Group »
Physical Review Letters 129, 136402 https://doi.org/10.1103
Dominique Di Sante a co-écrit cette étude avec :
- Matija Medvidović, chercheur invité au CCQ (étudiant diplômé de l’Université Columbia);
- Alessandro Toschi de la TU Wien à Vienne;
- Giorgio Sangiovanni de l’Université de Würzburg en Allemagne;
- Cesare Franchini de l’Université de Bologne en Italie;
- Anirvan M. Sengupta, chercheur principal au CCQ et au Center for Computational Mathematics;
- Andy Millis, codirecteur du CCQ.