Les arbres des régions sèches poussent de manière isolée, ont une densité et une taille très variable, leur étude à grande échelle est donc compliquée. Cependant, une collaboration pilotée par la NASA et l’Université de Copenhague, impliquant INRAE, le CEA et le CNRS, a mis au point une méthode de suivi, combinant images satellitaires de très haute résolution et IA, qui a permis d’estimer les caractéristiques de plus 9,9 milliards d’arbres situés en Afrique sub-Saharienne, ainsi que leur quantité de carbone stockée. L’étude intitulée “Sub-continental-scale carbon stocks of individual trees in African drylands” a été publiée le 1er mars dernier dans Nature, en marge du “One Forest Summit” au Gabon.
La quantité de carbone stockée par ces arbres a été évaluée à 0,84 milliard de tonnes, soit 1/3 du carbone stocké par les forêts françaises. L’étude a démontré que cette valeur ainsi que la densité des arbres dispersés sont surestimées dans la plupart des modèles de végétation utilisés dans les simulations du climat.
Les arbres situés en zones sèches stockent du carbone, fournissent des services écosystémiques précieux pour les populations locales en fournissant du bois, une protection contre l’érosion et la dégradation du sol, de l’ombre… et contribuent à la biodiversité. Connaître leur distribution, leur densité, leurs stocks de carbone, est indispensable pour la protection écologique, l’atténuation du changement climatique et la restauration des écosystèmes des zones sèches.
Il existe des études à un niveau très local pour les zones arides, mais sont peu nombreuses à plus grande échelle et sont basées sur des informations dérivées de cartes mondiales, qui n’ont pas été bien validées pour ces zones.
Une méthodologie innovante combinant IA et imagerie à haute résolution spatiale
Les scientifiques ont voulu étudier chaque arbre de façon individuelle. Pour cela, ils ont utilisé une méthode qui combine l’IA avec le calcul haute performance, l’imagerie à haute résolution spatiale et des données collectées sur le terrain.
Ils ont utilisé des images satellitaires du début de la saison sèche et une méthode de deep learning développée lors d’une étude précédente, ce qui a permis d’identifier des arbres isolés et de cartographier leur zone de cime à grande échelle, couvrant les zones Sahara occidental-Sahel-Soudan.
Les chercheurs ont alors étendu cette approche de cartographie des arbres à une zone 7,5 fois plus grande couvrant les zones arides à travers l’Afrique, de l’océan Atlantique à la mer Rouge, utilisant 326 523 images satellites à une résolution spatiale de 50 cm.
Les données collectées sur le terrain ont servi à ajuster les paramètres de structure des arbres (hauteur, surface de la couronne, biomasse…). Les chercheurs ont ainsi identifié plus de 9,9 milliards d’arbres et ensuite déterminé, pour chaque arbre, le stock de carbone lié à ses différentes parties (bois, feuilles, racines), ainsi que sa densité, sa couverture, sa taille et sa masse.
Pierre Hiernaux, chercheur français travaillant pour la NASA et consultant pour Pastorialisme Conseil, qui a apporté les données sur les arbres nécessaires à l’étude, déclare :
“La haute résolution spatiale (50 cm) combinée à l’IA et aux mesures sur le terrain, utilisée dans cette étude, est la clé de l’amélioration des inventaires d’arbres dans les zones sèches. La disponibilité sans cesse croissante d’images satellitaires à très haute résolution rendra possible l’évaluation des réservoirs de carbone et de leur dynamique au niveau de chaque arbre à une échelle globale.”
La densité et les stocks de carbone des arbres en zone-aride sous-estimés
Les stocks de carbone des arbres individuels varient de 63 kg en moyenne par arbre dans la zone aride à 98 kg dans la zone subhumide (zone dotée d’un climat intermédiaire entre semi-aride et humide). Le carbone total de la totalité des arbres identifiés dans ces zones d’Afrique sub-saharienne est donc de 0,84 milliard de tonnes de carbone.
Si ce résultat peut sembler faible, les comparaisons avec des simulations numériques de modèles de végétation ont révélé que la densité et les stocks de carbone des arbres isolés en zone aride sont sous-estimés par la plupart des modèles utilisés dans les simulations du climat.
Jean-Pierre Wigneron, chercheur INRAE de l’unité Interactions sol-plantes-atmosphère et co-auteur de l’étude, déclare :
“Cette étude est exceptionnelle car elle est pionnière dans un type d’approche qui va révolutionner le suivi des arbres et des forêts à l’échelle de notre planète : à court terme il va devenir possible de cartographier les arbres de la planète depuis le centre de l’Amazonie jusqu’à nos cours d’école. Beaucoup de champs d’applications vont devenir beaucoup plus efficaces et précis : suivi des stocks de carbone, biodiversité, monitoring des coupes, protection vis-à-vis des dégradations forestières illégales, etc., en quasi temps réel.“
La base de données de ces près de 10 milliards d’arbres est désormais mise à disposition publiquement. Elle comprend pour chaque arbre la masse de bois, la masse de feuillage, la masse de racines et le stock de carbone.
Philippe Ciais, Chercheur CEA au laboratoire des Sciences du climat et de l’environnement qui a également participé à cette étude, conclut :
“Cette étude ouvre une nouvelle dimension dans le suivi des forêts… et de nombreuses autres vont suivre. C’est réellement unique dans le domaine de la télédétection ! Dans ces études à venir, la combinaison de la télédétection à très haute résolution et de l’IA assure la cartographie des forêts dans de nombreuses régions du monde (Europe, Afrique, etc.), avec une précision inégalée et une résolution de 1 à 10 mètres”.
Références : “Compton Tucker, et al. Sub-continental-scale carbon stocks of individual trees in African drylands”, Nature 2023. DOI: 10.1038/s41586-022-05653-6