Les TIME100 Impact Awards, créés en 2022 par le magazine hebdomadaire américain TIME, récompensent les personnes qui ont eu un impact significatif sur leur industrie et plus généralement sur le monde. Dimanche dernier, à Dubaï, l’édition 2024 a mis à l’honneur quatre acteurs de l’IA : Yann LeCun, Karim Beguir, Sougwen Chung et Kay Firth-Butterfield.
Pour la première fois, les TIME100 Impact Awards s’adressent au domaine de l’IA, qui a été largement médiatisé en 2023 et qui semble destiné à rester au centre des débats et des progrès technologiques dans les années à venir.
Yann LeCun, l’un des pères du Deep Learning
Né près de Paris en 1960, diplômé de l’ESIEE Paris et titulaire d’un DEA et d’un doctorat de l’Université Pierre-et-Marie-Curie, Yann LeCun est une figure de premier plan dans le domaine de l’IA.
Il est reconnu pour ses contributions majeures dans le domaine de l’apprentissage profond et des réseaux neuronaux convolutifs (CNN), lesquels ont profondément révolutionné la vision par ordinateur et la reconnaissance d’images. En 1988, il a conçu le célèbre réseau de neurones convolutifs LeNet-5, pionnier dans le domaine et largement utilisé pour la reconnaissance de caractères manuscrits, posant ainsi les fondations des CNN modernes. Ces avancées ont ouvert la voie à des progrès significatifs dans des domaines tels que la détection d’objets, la segmentation sémantique et la classification d’images.
En décembre 2013, il rejoint Facebook où il dirige la division Facebook Artificial Intelligence Research (FAIR) à New York, puis à Paris où il axe ses recherches sur la reconnaissance d’images et de vidéos. Il y occupe aujourd’hui le poste de Chief Scientist parallèlement à celui de professeur à l’Université de New York.
Parmi les prix et les distinctions honorifiques qu’il a reçus, figure le prestigieux Prix Turing, considéré comme l’équivalent du Prix Nobel pour l’IA. Il se l’est vu décerné en mars 2019 en même temps que deux autres pionniers du deep learning, Geoffrey Hinton et Yoshua Bengio.
Tandis que ces derniers alertent sur les dangers potentiels de l’IA pour l’humanité, Yann LeCun affiche une vision beaucoup plus optimiste dans l’utilisation qu’en feront les humains à l’avenir. Au lieu de réclamer une réglementation stricte comme ses deux colauréats, il penche pour une réglementation n’entravant pas l’innovation pour les chercheurs et les entreprises autres que les GAFAM et favorisant l’open source, dont il est un farouche partisan.
Alors que l’article sur Time accompagnant l’annonce des lauréats du Prix 2024 le présente comme “une figure polarisante dans le monde de l’IA”, sur Twitter, il remercie le magazine, et déclare :
“Je suis reconnu, non pas parce que je suis une « figure polarisante » (espérons-le), mais en raison de mon plaidoyer pour les plateformes d’IA open source. J’y vois une nécessité morale : à l’avenir, l’ensemble de notre régime d’information sera médiatisé par des systèmes [d’IA], ils constitueront essentiellement le dépositaire de toutes les connaissances humaines. Et vous ne pouvez pas avoir ce genre de dépendance à l’égard d’un système propriétaire et fermé”.
Karim Beguir, inspirant co-fondateur et PDG d’InstaDeep
Karim Beguir dirige la start-up tunisienne InstaDeep qu’il a cofondée en 2014 avec Zohra Slim. Aujourd’hui basée à Londres, possèdant des bureaux à Tunis, Paris, Lagos, Dubaï et Cap Town, elle est un des leaders des systèmes d’IA décisionnelle et a été nommée deux ans de suite au classement CB Insights AI 100 des 100 entreprises privées d’IA les plus prometteuses au monde.
La société développe des produits d’IA brevetés tels que sa plateforme de conception de protéines DeepChainTM et collabore avec de grands groupes comme Google DeepMind, Nvidia et Intel. Pour contribuer au développement de l’IA, elle développe des solutions au service de tous, publiées en open source, et organise événements et formations.
En 2023, BioNTech annonçait un accord en vue de son acquisition.
Les deux sociétés collaborent depuis 2019 et ont créé fin 2020 un laboratoire d’IA combinant les capacités avancées d’InstaDeep dans les domaines de l’IA, du ML et de la numérisation avec l’expertise approfondie de BioNTech dans le domaine des immunothérapies de précision.
En janvier 2022, elles annonçaient le développement de Early Warning System (EWS) un système d’alerte évolutif combinant la modélisation structurelle de la protéine Spike avec l’IA pour identifier et surveiller en temps réel l’apparition ainsi que l’évolution de variants à haut risque du SARS-CoV-2 (Covid-19).
En 2019, InstaDeep a été choisie dans le cadre d’un appel d’offres de la Deutsche Bahn, le plus grand opérateur ferroviaire et gestionnaire d’infrastructures en Europe, visant à numériser les opérations ferroviaires allemandes. La start-up travaille à l’optimisation du système de gestion des capacités et du trafic.
Pour le TIME, Karim Beguir a prouvé que les innovations qui changent le monde ne sont pas l’apanage de géants comme Apple et Google, et sont possibles dans les pays en développement. Selon le magazine, “le travail d’InstaDeep démontre non seulement le chemin parcouru par l’IA, mais signale également le type de monde qu’une telle technologie pourrait créer”.
Karim Beguir a déclaré au magazine :
“Je crois que les choses changent lorsque vous voyez des exemples positifs de réussite, des exemples positifs de ce que la créativité, l’innovation peuvent apporter à la table, qui vous inspirent à aller et à construire. C’est l’avenir pour lequel je me bats”.
Sougwen Chung, artiste chercheuse et fondatrice de Studio Scilicet
Artiste multimédia d’origine chinoise, ayant grandi au Canada et vivant entre Londres et New York, Sougwen Chung est connue pour son travail novateur qui explore les interactions entre l’humain et la machine. Cette ancienne chercheuse du Mit Media Labs entraîne un réseau neuronal sur son propre travail, puis construit des robots pour peindre physiquement en tandem avec eux sur des toiles géantes.
Dès 2015, Sougwen Chung a développé un système comprenant un bras robotisé, un logiciel personnalisé et une caméra aérienne pour enregistrer sa manière de dessiner. Le logiciel de vision par ordinateur transformait ensuite les données visuelles de la caméra en instructions pour les mouvements du bras robotique, lui permettant ainsi de collaborer avec le robot dans la création d’œuvres artistiques.
En 2017, elle a également entraîné un réseau de neurones récurrents (RNN) sur ses propres œuvres. Celles-ci comprenaient deux décennies de dessins qu’elle avait archivés, numérisés et catégorisés au fil du temps. Cette utilisation de l’IA lui a permis de créer un système capable de générer de nouveaux dessins inspirés de son style artistique et de ses travaux passés, explorant ainsi les possibilités créatives offertes par l’apprentissage automatique et l’IA.
Ses œuvres, récompensées par de nombreux prix, sont exposées dans des galeries d’art et des musées du monde entier, elle a également participé à de nombreuses conférences et événements internationaux sur l’art et la technologie.
Studio Scilicet, la société qu’elle a fondée, est un laboratoire d’art et de recherche interdisciplinaire qui explore les intersections entre l’art, la science et la technologie. Le travail de Sougwen Chung et de Studio Scilicet est reconnu pour sa capacité à remettre en question les frontières entre l’humain et la machine, et à susciter une réflexion profonde sur l’avenir de notre relation avec la technologie.
Pour le Time, “le résultat est hypnotique et inquiétant, et donne le ton à la façon dont les artistes pourraient de plus en plus utiliser l’IA comme un instrument artistique parmi d’autres, comme un violon ou un pinceau”.
Kay Firth-Butterfield, prudente PDG de Good Tech Advisory
Le magazine TIME met à l’honneur Kay Firth-Butterfield pour son rôle d’experte mondiale en IA Responsable.
Ancienne juge et professeure, Kay Firth-Butterfield est le PDG de Good Tech Advisory depuis 2014 et a été directrice de l’IA au Forum économique mondial de 2017 à avril dernier où elle a joué un rôle crucial dans le développement de cadres et de directives pour garantir le développement et l’utilisation responsables de l’IA. Elle a également conseillé le Royaume-Uni et le Brésil sur la création de tels systèmes d’IA, qui ont été intégrés dans la législation.
En 2016, elle a cofondé le Responsible AI Institute, dont l’objectif est de fournir des outils et des ressources aux organisations et aux gouvernements pour les aider à développer et à mettre en œuvre des systèmes d’IA transparents et sûrs.
À travers son rôle de PDG de Good Tech Advisory, elle collabore avec des entités diverses telles que des entreprises, des gouvernements, des ONG et des médias pour mettre en œuvre l’IA de manière responsable. Elle souligne l’importance de minimiser les dommages potentiels tout en maximisant les avantages de cette technologie, tout en assurant la conformité juridique.
Kay Firth-Butterfield s’inquiète particulièrement des implications de l’utilisation irresponsable de l’IA, notant que cela pourrait nuire de manière disproportionnée aux femmes et aux personnes de couleur. Elle met l’accent sur la nécessité de comprendre l’impact de l’IA sur les membres les plus vulnérables de la société, notamment les enfants, et plaide pour une utilisation réfléchie de cette technologie dans l’éducation.
Enfin, elle souligne l’importance de l’inclusion numérique, notant que de nombreuses personnes dans le monde n’ont pas accès à Internet, ce qui creuse les écarts dans l’adoption et les bénéfices potentiels de l’IA.
Kay Firth-Butterfield pense que l’IA peut ouvrir de nombreuses portes bénéfiques, mais qu’il faut la construire et l’utiliser avec soin. Elle souligne :
“Il s’agit de savoir si nous, en tant qu’humains, construisons la société que nous voulons”.