Leurs voix nous sont familières pourtant peu d’entre nous connaissent ces comédiens qui prêtent leur voix aux personnages de nos films, séries et jeux vidéo préférés. S’ils travaillent dans l’ombre, sans leur talent, la version française de ces œuvres perdrait une grande partie de sa richesse et de son impact émotionnel. Alors que depuis plus d’un an et demi, ils alertent sur les impacts de l’IA pour leur profession, plus de deux cents d’entre eux ont manifesté mardi dernier à Paris, scandant “l’IA dehors, les voix sont nos trésors” ou “IA casse-toi, tu ne touches pas à ma voix”.
Les voix synthétiques, devenues de plus en plus réalistes, représentent une menace croissante pour le métier de doubleur, ce qui a d’ailleurs amené les acteurs américains, craignant de voir leur voix clonée, à rejoindre les scénaristes en grève en juillet 2023. En France, les professionnels de la voix off ont eux aussi demandé des garanties vis-à-vis de l’utilisation de l’IA. Dans une lettre ouverte, au mois de juin précédent, ils ont appelé le gouvernement et les parlementaires à légiférer pour réguler les IA génératives.
Patrick Kuban, co-fondateur de l’association les Voix, rappelle que les versions françaises des films étrangers représentent en moyenne 85 % des entrées cinéma en France et qu’au total, ce seront près de 15 000 emplois qui seraient impactés par l’IA : les doubleurs, mais également les traducteurs et les techniciens.
Ce 3 décembre, munis de pancartes aux couleurs du mouvement “#Touchepasmavf”, ils ont répondu à l’appel à manifester de l’association les Voix et de leurs syndicats alors que ces derniers négociaient dans les bureaux de NBC Universal avec des commanditaires du doublage tels qu’Amazon, Apple, Netflix ou Paramount.
L’association est à l’origine avec le Syndicat Français des Artistes interprètes (SFA) de la pétition de janvier 2024 “TouchePasMaVF : Pour un doublage créé par des humains pour des humains“ qui a donné naissance à ce mouvement. On peut y lire :
“L’émotion, la complexité, la beauté de l’expérience humaine véhiculées par la voix et le langage, ne peuvent être générées par les modèles d’intelligence artificielle. Si puissants et raffinés qu’ils soient, les algorithmes ne peuvent façonner que des simulacres et peuvent, si on n’y prend garde, renforcer des biais de discriminations présents dans les contenus dont ils se nourrissent. Nous protestons contre cette course effrénée vers le profit.
À quoi cela mène-t-il ? Les moteurs d’intelligence artificielle générative sont aujourd’hui alimentés par le moissonnage, que nous jugeons illégitime, des œuvres sur lesquelles nous travaillons. À terme, l’IA sera de plus en plus nourrie par des contenus générés antérieurement par d’autres IA, c’est-à-dire, par elle-même ! Comment ne pas voir dans ce mécanisme « consanguin » un terrible rétrécissement du spectre des œuvres de l’esprit ? Un risque inédit et grave d’homogénéisation, d’assèchement et d’appauvrissement culturel ?”.
Adressée à Rachida Dati, ministre de la Culture, elle a été relayée par les comédiens et a reçu à ce jour plus de 156 000 signatures.
Les comédiens exigent des protections dans les conventions collectives et les contrats afin d’interdire l’utilisation de leur travail pour entraîner les systèmes d’IA et créer des voix synthétiques. Selon Olivia Luccioni, du syndicat SFA-CGT, les négociateurs n’ont pas réussi à trouver un terrain d’entente, mais “Les commanditaires ont été à l’écoute et ils ont compris qu’il était important de remettre l’humain et l’émotion de l’humain au centre du débat”. Ils ont convenu de se retrouver dans 2 semaines pour tenter de trouver des solutions.
Les voix off espèrent également que le gouvernement les soutiendra :
“Il est du devoir des pouvoirs publics d’agir, non pour empêcher l’innovation, mais pour réguler le développement de l’IA générative de manière à protéger les artistes, les œuvres, la culture et l’emploi”.