Le CEP publie une étude sur la concurrence dans le secteur de l’IA générative

En janvier dernier, La Commission européenne lançait deux appels à contributions dont l’un concernait la concurrence dans le domaine de l’intelligence artificielle générative et envoyait des demandes d’informations à plusieurs grands acteurs du numérique. Dans une étude répondant à cet appel, le Centre de Politique Européenne (CEP) met en garde contre le fait que les entreprises technologiques américaines dominent déjà la chaîne de valeur de la GenAI et appelle à des contrôles stricts du droit de la concurrence.

Le marché de l’IA et de la GenAI, en plein effervescence, pourrait bien devenir l’un des piliers de l’économie des années à venir. Une étude de Statista de septembre dernier indiquait que le secteur de l’IA générative allait atteindre près de 42 milliards d’euros en 2023 (soit le double de 2022) et pourrait même représenter un chiffre d’affaires annuel de plus 200 milliards d’euros à l’horizon 2030.

La FTC tout comme l’Autorité de la Concurrence française s’inquiètent de la mainmise des grandes entreprises du secteur technologique sur ce marché. La Commission européenne examine elle aussi certains accords conclus entre de grands acteurs du marché numérique et des développeurs et fournisseurs d’IA générative, notamment les partenariats Microsoft-OpenAI et Microsoft-Mistral AI.

Lors de son appel à contribution, la Commission européenne déclarait :

“L’application efficace des règles de concurrence de l’UE est essentielle pour maintenir la concurrence au sein du marché unique de l’UE, qui constitue le meilleur atout de l’Europe en termes de création d’emplois et de croissance économique”.

Pour les auteurs de l’étude répondant à cet appel intitulée “Concurrence dans le domaine de l’IA générative”, Anselm Küsters, expert du numérique du CEP, et l’économiste du CEP Matthias Kullas auteurs de l’étude :

“Garantir la concurrence dans la chaîne de valeur de l’IA générative n’est pas seulement un impératif économique, mais aussi une mesure de précaution pour protéger les valeurs démocratiques et garantir la souveraineté numérique de l’UE”.

Selon eux, la Commission a déjà perdu beaucoup de temps et pour Matthias Kullas “Ce sera difficile pour les autres fournisseurs, car les grandes entreprises technologiques américaines sont fortement représentées à de nombreuses étapes de la chaîne de valeur des services d’IA générative”. 

Ils proposent une analyse des possibles restrictions de concurrence dans les trois parties de la chaîne de valeur de l’IA générative : l’infrastructure (données à grande échelle et puissance de calcul), l’entraînement des modèles de fondation, les services et applications B2B/B2C en aval.

Données d’entraînement des modèles de fondation

Les deux chercheurs du CEP n’identifient pas de problème de concurrence sur le marché des données, étant donné que des études récentes suggèrent que les LLM avancés nécessiteront progressivement moins de données pour obtenir des performances optimales. Il est cependant pour eux crucial de surveiller de près les accords de licence exclusive avec les fournisseurs d’informations en ligne ou d’autres propriétaires d’ensembles de données de haute qualité, car ils pourraient entraver l’accès des nouveaux concurrents à ces données de qualité supérieure.

Puissance de calcul

En revanche, ils ont observé des problèmes de concurrence sur le marché de la puissance de calcul en raison d’une pénurie de puces adéquates : alors que le marché des puces de pointe est dominé par NVIDIA, celui-ci, faisant face à des contraintes technologiques, ne peut augmenter facilement la production de ces puces. Ils ont également constaté un manque d’entrants sur le marché du cloud.

Bien que les grandes entreprises technologiques offrent aux nouvelles entreprises un accès à cette puissance de calcul via des services de cloud, pour les auteurs de l’étude :

“Il est à craindre que les start-ups de premier plan telles qu’OpenAI, et les opérateurs historiques tels que les grandes entreprises technologiques, soient plus susceptibles d’obtenir un accès prioritaire à ces services de cloud pour la formation à l’IA, étant donné qu’ils concluent des accords pour détenir de plus grandes grappes de calcul”.

Ils soulignent également que les jeunes entreprises font face à des coûts considérables lorsqu’elles envisagent de changer de fournisseur de services cloud. Pour eux, “la combinaison unique d’une forte demande, d’un petit nombre de fournisseurs de puissance de calcul, de coûts de commutation élevés et d’une intégration verticale croissante présente des risques non négligeables pour la concurrence, pouvant par exemple prendre la forme d’autoréférencement ou de discrimination”.

L’entraînement des modèles de fondation

Les chercheurs soulèvent plusieurs problèmes de concurrence sur le marché de la formation en intelligence artificielle générative. Les coûts fixes élevés pour l’entraînement tout comme l’amélioration des performances des LLM lorsqu’ils passent à l’échelle supérieure favorisent les fournisseurs de modèles de fondation établis.

Il est donc très difficile pour les jeunes entreprises de concurrencer ces derniers, et, pour eux, le partenariat stratégique entre OpenAI et Microsoft devrait être considéré comme une forme d’intégration verticale susceptible de nuire à la concurrence.

Il existe d’autre part une pénurie d’experts pour le développement de modèles de fondation, ce qui limite encore davantage la concurrence sur le marché, en particulier pour les entreprises européennes.

Bien que ces restrictions de concurrence soient valables à court et moyen terme, une analyse de la littérature actuelle ainsi que les progrès réalisés récemment par des modèles concurrents tels que Gemini et Mistral suggèrent que ces défis pourraient s’atténuer à plus long terme.

Le déploiement de l’IA générative

En ce qui concerne les applications et les services de l’IA générative en aval, pour les auteurs de l’étude, seule une poignée de fournisseurs connaîtra le succès à long terme. Les start-ups doivent rivaliser avec les grandes entreprises telles que Microsoft et Google qui ont un accès préférentiel aux modèles avancés et peuvent tirer parti de leur pouvoir de marché et de leurs clients existants.

Selon leur évaluation, Microsoft occupe une position prédominante dans la chaîne de valeur de la GenAI en raison de sa possession de données de haute qualité, de serveurs de cloud, de capital humain, de son contrôle sur plusieurs modèles de fondations de premier plan et de son pouvoir de marché existant dans les services bureautiques en aval.

Pour eux, “en plus de comprendre la dynamique de chaque niveau de la chaîne de valeur, les responsables de l’application du droit de la concurrence de l’UE doivent adopter une perspective globale pour comprendre le degré d’intégration verticale de certains acteurs du marché”. Outre des investissements accrus dans des conditions propices à l’innovation pour l’IA en Europe, une politique de concurrence globale de l’UE est nécessaire. Compte tenu de l’évolution rapide des technologies de l’IA générative et de leur impact considérable, il est donc essentiel pour la Commission d’anticiper et de traiter de manière proactive les problèmes de concurrence potentiels.

Retrouver l’intégralité de l’étude ici

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