L’avenir est dans les Deeptechs ! Huit mois après l’installation du Conseil de l’Innovation, Bpifrance a réaffirmé son ambition de développer les start-ups technologiques issues de travaux de la recherche académique. C’est l’occasion de voir sur le terrain comment se prépare l’étape-clé du transfert de technologie.
« L’innovation vit un nouveau moment de transformation. Après avoir été tirée pendant plus de 10 années par le digital et la révolution des smartphones, qui ont bouleversé les usages, elle connaît une nouvelle impulsion : une vague liée aux technologies de rupture. »
Paul-François Fournier,
Directeur exécutif de la Direction innovation de Bpifrance
Cinq ans pour faire de la France une Deeptech nation
Le 30 janvier dernier, Bpifrance a présenté son plan « Génération Deeptech » en présence de Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, et Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances. Ce vaste programme d’investissement prévoit d’injecter 1,3 milliard d’euros supplémentaires dans le domaine des innovations de rupture d’ici 2023. L’enjeu ? Préparer la France aux grands défis sociétaux du XXIe siècle qui toucheront de plein fouet les secteurs industriels de la santé, de l’alimentation, des transports et de l’énergie.
À écouter Bpifrance, tout paraît très simple. L’organisme publie même un référentiel pour identifier les quatre critères qui font d’une technologie une « deeptech » : être issue de travaux de recherche fondamentale, présenter de fortes barrières à l’entrée avec des verrous technologiques difficiles à lever, apporter un avantage concurrentiel indéniable et avoir un temps de mise sur le marché particulièrement long ou complexe. En réalité, cette définition concise de Bpifrance révèle en creux toute la difficulté de faire émerger dans l’industrie les technologies profondes en l’état. Pour être économiquement viables, les projets issus de la recherche fondamentale doivent nécessairement passer par une phase de maturation risquée que les investisseurs privés ont du mal à soutenir sans garantie.
Un accompagnement spécifique sur le terrain
Depuis 2012, la valorisation des innovations issues de la recherche publique revient aux Sociétés d’Accélération du Transfert de Technologies (SATT). Ces structures à vocation locale ont pour missions d’identifier dans les laboratoires d’excellence les projets à fort potentiel économique, de les accompagner dans leur développement technologique, juridique et commercial, et d’opérer en fin de parcours le transfert de la technologie vers des applications marché. Autrement dit, les SATT transforment la valeur scientifique d’une découverte en un produit innovant directement exploitable par les entreprises. Dans les trois quarts des cas, cela passe par la création d’une start-up technologique.
« Si vous apportez un résultat de laboratoire de recherche à un industriel, celui-ci va vous répondre que sa valeur est tellement loin du marché qu’il ne prendra pas le risque d’investir pour l’appliquer à son cas. Le rôle des SATT est donc d’augmenter le degré de maturité de l’invention, de la protéger et de valider sa performance dans des usages cibles, afin de rassurer les acteurs économiques sur sa viabilité. Et cette démarche fonctionne : les start-ups accompagnées par le réseau des SATT arrivent à se faire financer dans l’année de leur création, avec des levées de fond quatre fois supérieures à la moyenne nationale. »
explique Xavier Apolinarski, Président de la SATT Paris-Saclay
Le cas de l’Intelligence Artificielle
Au même titre que les autres technologies profondes, l’IA fait partie des projets soutenus par les SATT, avec cette particularité d’être à la frontière de la méthode et du sujet de recherche en tant que tel. Dans certains cas, l’Intelligence Artificielle s’avère même être la meilleure option possible pour industrialiser des manipulations humaines à fort niveau d’expertise.
Ce fut notamment le cas pour la start-up VitaDX qui développe un nouvel outil d’aide au diagnostic précoce du cancer de la vessie. Les travaux de recherche commencés en 2011 ont établi l’intérêt d’utiliser l’imagerie fluorescente pour détecter les cellules malades. Mais pour que ce résultat de laboratoire se transforme en technologie réellement accessible au plus grand nombre de patients, il a fallu industrialiser le procédé.
« Lorsque nous avons créé la société VitaDX début 2015, nous avons dû passer des manipulations humaines et des observations physiques au microscope à la numérisation et à l’automatisation de tout ce qui pouvait l’être. L’IA nous a semblé la meilleure solution pour obtenir une solution extrêmement fiable et reproductible. Le problème, c’est qu’à ce moment-là, nous n’avions pas les compétences dans le traitement de l’image et encore moins dans le domaine de ce qu’on appelle au sens large l’Intelligence Artificielle. »
raconte Allan Rodriguez, Directeur général de VitaDX
Pour surmonter cette barrière technologique, VitaDX s’est rapproché de la SATT Paris Saclay. Cette dernière a alors joué les intermédiaires entre la start-up et son laboratoire partenaire ONERA (Office national d’études et de recherches aérospatiales). Quel rapport avec le médical ? Aucun en apparence, si ce n’est une expérience technologique de pointe sur les algorithmes de traitement de l’image.
« La relation tripartite entre VitaDX, la SATT Paris Saclay et l’ONERA nous A permis de faire un bond en avant dans le développement des premières briques algorithmiques de notre logiciel de détection des tumeurs urothéliales. L’accompagnement technologique s’est également doublé d’un soutien financier, puisque les coûts de collaboration avec l’ONERA ont été entièrement pris en charge par la SATT. »
poursuit Allan Rodriguez, Directeur général de VitaDX
Cette collaboration a débouché sur un brevet, dont VitaDX a la licence mondiale exclusive, avec versement de royalties aux entités partenaires. Cet intérêt commun au succès commercial de la solution génère une dynamique positive autour du projet. La start-up s’impose un devoir de transparence vis-à-vis de ses partenaires qui, en retour, s’efforcent de lever les barrières sur le chemin de la mise sur le marché.
Les prochains défis à relever
Le plan « Génération Deeptech » ambitionne de soutenir plus de 1500 start-ups d’ici 2023, soit près du double de l’objectif initial. Cet objectif entraine un certain nombre de défis que l’argent de Bpifrance ne pourra résoudre seul. En premier lieu, il sera difficile pour les laboratoires scientifiques de suivre la tendance à la hausse des demandes de collaborations si le nombre de chercheurs ne grossit pas. Aujourd’hui, la plupart des centres de recherche d’excellence du territoire sont obligés de sélectionner drastiquement les projets à suivre. C’est bénéfique d’un point de vue qualitatif, mais cela n’ira pas dans le sens de l’évolution quantitative souhaitée par les pouvoirs publics.
Deuxième défi : la notoriété des SATT. Après cinq à sept ans d’existence, les SATT n’ont pas à rougir de leurs résultats. Au 1er juillet 2018, le réseau comptabilisait plus de 10 000 projets innovants détectés et analysés, près de 2500 brevets prioritaires déposés, 757 licences d’exploitation signées avec des entreprises et 320 start-ups créées. Mais pour tenir le cap souhaité par Bpifrance, les SATT devront intensifier leurs efforts de communication auprès des acteurs économiques locaux.
« Les SATT mériteraient d’être davantage connues des industriels français et reconnues comme fournisseurs d’innovations qualifiées issues de la recherche publique. D’une part, cela nous aiderait à mieux connaître leurs besoins en innovation, donc à assurer le transfert de technologies sur lesquelles nous avons investi ; d’autre part, solliciter le réseau des SATT leur permettrait d’avoir une très bonne photographie des tendances en innovation sur leur secteur d’activité, afin d’anticiper les futurs mouvements du marché. »
estime Xavier Apolinarski, Président de la SATT Paris-Saclay
Enfin, dernier défi pour les projets basés sur l’Intelligence Artificielle : l’accès aux données. Les modèles prédictifs et les capacités de l’IA sont prometteurs, tant dans le domaine de la santé que dans celui des transports, de la défense, de l’alimentaire et de la cohésion sociale, mais ils sont dépendants de la qualité et de la quantité des données collectées. Dans les cas des technologies de rupture, donc nouvelles par définition, les data n’existent pas encore. Il faut les produire, ce qui rallonge d’autant la phase de maturation des projets.
L’orientation prise par Bpifrance d’accélérer les transferts de technologies profondes est un signal fort. Cependant, les objectifs visés à cinq ans risquent de se heurter à la réalité du terrain. Oui, l’argent est le nerf de la guerre, mais les défis auxquels sont confrontés les acteurs opérationnels relèvent de problématiques structurelles et humaines tout aussi complexes que les barrières technologiques à lever.
Mise à jour du 28/03/2019: Le Premier Ministre vient de décider le jour de la publication de cet article, sur proposition de M. Bruno Le Maire, Mme Frédérique Vidal, Mme Agnès Pannier-Runacher et M. Guillaume Boudy, la poursuite du financement des 9 SATT à hauteur de 147,5M€, afin de leur permettre de poursuivre leur accéléreration du transfert de technologie.