Les gouvernements de par le monde prennent progressivement conscience du caractère stratégique et sensible des technologies basées sur l’IA. Cette prise de conscience se traduit par des plans et annonces d’investissement dans ces technologies, mais on voit également naître un tournant vers une accentuation des contrôles.
Ainsi, le bureau de l’industrie et de la sécurité U.S. indiquait au mois de novembre 2018 se pencher sur la régulation de l’exportation de l’intelligence artificielle et lançait une consultation en ce sens.
De son côté, la France instaure un contrôle des investissements d’origine étrangère dans les startups IA.
En France, le décret n°2018-1057 vient d’entrer en vigueur le 1er janvier 2019. Il vise à soumettre à des contrôles et autorisations préalables les investissements étrangers dans des entreprises menant des activités de R&D dans les domaines de la cybersécurité, de l’intelligence artificielle, de la robotique, de la fabrication additive et des semi-conducteurs.
Selon Bruno Le Maire, l’objectif est de protéger les entreprises ayant des activités de Recherche & Développement dans certains secteurs technologiques d’avenir contre les acquisitions hostiles.
L’intelligence artificielle est effectivement une technologie sensible.
Nous ne pouvons que voir d’un bon oeil le fait que le gouvernement prenne parfaitement la mesure de l’importance de l’intelligence artificielle, de son impact sur la société dans son ensemble.
L’intelligence artificielle est sans conteste une technologie sensible : sensible parce qu’elle est en passe de devenir omniprésente, sensible parce qu’elle adresse des problématiques aux enjeux critiques telles que la santé, la défense, l’environnement, l’emploi, ou encore parce qu’elle s’apprête à révolutionner l’ensemble des secteurs économiques.
On peut donc comprendre la volonté du gouvernement d’éviter de voir la France dépossédée du travail de recherche de ses entreprises ou de lutter contre les risques d’ingérence extérieure.
Mais est-ce la bonne solution ?
Les fondateurs de startups avec lesquels nous avons échangé nous ont fait part de leurs craintes. Cette nouvelle mesure risque de compliquer encore le processus de levée de fonds et de dissuader les investisseurs étrangers de se pencher sur des entreprises françaises.
Il est tout à fait possible de lever des fonds auprès d’investisseurs français. Mais il s’agit généralement de montants permettant de développer des PoC (proof of concept). Très peu de fonds d’investissements français sont capables d’accompagner les startups dans un passage à l’échelle. C’est une constatation qui revient assez fréquemment lorsqu’on discute avec les acteurs de l’IA. Il est alors nécessaire de se tourner vers les fonds étrangers. Cependant, avec ce nouveau décret, ce passage à l’échelle va devenir encore plus difficile.
Deux freins viennent dissuader les fonds étrangers d’investir : tout d’abord, l’obtention nécessaire d’une autorisation pour investir dans une société, mais également et surtout la crainte de ne pas pouvoir revendre leurs parts ultérieurement. Les ardeurs des fonds français risquent elles mêmes d’être calmées, puisque les possibilités de développements des entreprises françaises se trouveront plus limitées.
La question n’est pas de savoir s’il est préférable ou non pour la France que ce soient des fonds français qui entrent dans le capital de startups françaises. Il s’agit plutôt de savoir s’il est souhaitable qu’à défaut d’alternative, les startups se voient bridées dans leur développement et celui de leurs technologies, tandis qu’à l’étranger, des sociétés continueront, elles, de se développer; de savoir s’il est préférable qu’une startup développant des algorithmes d’intelligence artificielle pour la santé mette un terme à sa R&D faute de fonds, plutôt que de voir des fonds étrangers entrer dans son capital; que la fuite des entrepreneurs français vers l’étranger s’accélère pour y échapper.
Jean-David Chamboredon, président du lobby du numérique France Digitale et porte-parole des Pigeons expliquait déjà en février 2018 à ce sujet à La Tribune, que “l’Etat risque de casser la French Tech”.
Bien heureux celui qui peut se vanter de connaître la solution idéale.
Nous en sommes conscients, le problème est loin d’être simple. L’intelligence artificielle n’est pas un domaine anodin et il est compréhensible que le gouvernement s’y intéresse. Mais quelles mesures devraient réellement être prises ? Une chose est certaine, il serait important d’obtenir des précisions sur la façon dont sera appliqué ce décret, dans quels cas l’autorisation sera-t-elle ou non accordée et sur la base de quels critères objectifs ? Quelle alternative en matière d’investissement l’état sera en mesure de suggérer aux entreprises après leur avoir refusé une levée auprès d’investisseurs étrangers ?
Le gouvernement a tout intérêt à rassurer entrepreneurs et investisseurs de l’écosystème sur les modalités effectives d’application de ces mesures.