Des chercheurs de la Case Western Reserve University de Cleveland ont mis au point un modèle de machine learning pour identifier l’auteur d’une peinture sur la base de minuscules détails de marques de pinceau invisibles à l’oeil nu et non contrôlés par le peintre. Ils ont utilisé des données de cartographie de la surface de la peinture qu’ils ont analysé avec l’IA, cette méthode pourrait permettre d’identifier les contrefaçons.
Les faussaires peuvent réussir à tromper les experts et on retrouve même des faux dans les musées. L’équipe de la CWRU n’est pas la première à utiliser l’IA pour analyser des tableaux, les chercheurs de l’université de Rutgers et de l’Atelier de restauration et de recherche sur la peinture (Pays-Bas) se sont eux-aussi penchés sur la question de la contrefaçon en étudiant le coup de pinceau propre à chaque peintre. En 2017, ils ont publié une étude dans laquelle ils ont rassemblé des données sur plus de 80 000 traits individuels dans 300 dessins de Pablo Picasso, Henri Matisse et Egon Schiele, et d’autres artistes, et ont identifié de manière fiable les contrefaçons. Cependant, l’équipe du CWRU a déclaré qu’elle pensait que son projet était le premier à combiner la topographie de surface tridimensionnelle des œuvres d’art avec l’analyse de l’apprentissage automatique.
Une étude exigeant une haute précision
Selon les chercheurs, dont l’étude a été publiée en novembre dernier dans la revue “Heritage Science”, cette méthode pourrait être utilisée pour identifier les contrefaçons en faisant ressortir les différences entre le coup de pinceau du maître et celui du faussaire, des indices révélateurs de la taille de la largeur d’un poil de brosse! Pour Kenneth Singer, professeur de physique faisant partie du projet, “de telles traces sont les indicateurs du style non intentionnel de l’artiste”. Il déclare :
“Je ne dirais pas que c’est infaillible ; Je suis un scientifique. Mais je dirais que c’est un outil puissant.”
Concevoir une expérience contrôlée pour étudier la main dite du peintre
Pour authentifier un tableau ancien, les experts peuvent se baser sur l’état physique de celui-ci, analyser les matériaux utilisés, la technique et le style de l’artiste ou des artistes car, dans les écoles, plusieurs peintres pouvaient collaborer à un même tableau. Ils doivent également tenir compte des accidents et des réparations advenus au cours du temps. Pour cette étude, les chercheurs ont recruté neuf étudiants en peinture du Cleveland Institute of Art. Ils leur ont fourni les même matériaux (peinture, toile) et les mêmes outils (pinceaux) et leur ont demandé de peindre le même sujet, à savoir la photo d’un nénuphar en triple exemplaire. Avec l’aide de trois historiens de l’art et d’un restaurateur en peinture, ils ont sélectionné les œuvres de quatre artistes en fonction de leur similitude stylistique et les ont analysées.
Un algorithme de Machine Learning précis à 96,1%
McMaster, l’un des chercheurs, a eu l’idée d’utiliser un profilomètre confocal chromatique, (appareil de balayage), pour mener ces analyses. Afin de simuler les méthodes de l’atelier et de produire suffisamment de données de formation, l’équipe a créé des patchs virtuels dans chacune des douze peintures, trois par chacun des quatre artistes. Les informations de hauteur de surface pour chaque peinture ont donc été collectées par profilométrie optique à haute résolution. Les mesures ont été effectuées sur une région de 12 × 15 cm centrée autour du sujet de la peinture, avec une résolution spatiale de 50 microns et une répétabilité en hauteur de 200 nm. Étant donné que les coups de pinceau et leurs caractéristiques associées sont à l’échelle de centaines de microns, l’ensemble des données a été suffisant pour développer une méthode de machine learning pour chaque peintre. La précision de prédiction ML à partir de données de hauteur est très satisfaisante puisqu’elle a atteint le score global de 96,1%.
Les projets de l’équipe
L’équipe de la CWRU a utilisé cette nouvelle technologie pour le portrait du cardinal Tavera, tableau du début du XVIIème siècle réalisé par El Greco qui a été restauré après avoir été découpé en morceaux pendant la guerre civile espagnole. Les résultats de l’étude qui devait identifier les parties restaurées ne sont pas encore connus.
La Fondation Factum pour la technologie numérique dans la conservation, de Madrid, va permettre à l’équipe d’augmenter sa capacité d’analyse grâce à l’apport de son scanner 3D exclusif qui permettra la numérisation de la cruxifixion d’El Greco exposée au Cleveland Museum of ART avec des données inférieures à un micron. Une seconde version de la cruxifixion, presque identique, se trouve à l’Institute for Spanish and Hispanic Art de Bishop Auckland, en Angleterre à laquelle le même processus va être appliqué. En comparant ces deux tableaux, l’équipe espère démontrer quelles parties ont été peintes par El Greco, par son fils, Jorge Manuel, ou par les disciples de l’atelier et lesquelles ont été restaurées.
La possibilité d’appliquer cette technologie à d’autres objets (sculptures, tissus, pièces de monnaie…) est envisagée.