L’IA peut-elle faciliter la formation des personnes en situation de handicap ? Le livre blanc « IA et Inclusion » produit par le collectif d’action et de réflexion Impact AI en partenariat avec l’association EdTech France, dresse un panorama des usages et des solutions numériques enrichies d’IA permettant de faire évoluer l’apprentissage des personnes en situation de handicap et donne un éclairage de l’apport que peut avoir maintenant et dans le futur l’IA dans ce domaine.
Cette étude, qui intègre une vision prospective sur les besoins et les solutions qui vont continuer à se développer, doit aider à passer à une étape de mise en œuvre et accélérer la transformation des formations proposées aux personnes en situation de handicap.
Hélène Chinal, Vice-présidente Impact AI et Directrice de la transformation chez Capgemini Europe du sud et centrale, explique:
« Cette étude fait un état des lieux des besoins et des solutions à base d’IA pour un meilleur accès des formations aux personnes en situation de handicap. Cet état des lieux n’est pas exhaustif et les solutions évoluent et cette étude est un point de départ destiné à être enrichi. Merci à tous ceux qui sont engagés et contribuent à accélérer l’accessibilité des formations aux personnes en situation de handicap ».
Impact AI, think & do tank de référence pour l’IA éthique en France depuis 2018 fédère l’ensemble des acteurs de l’écosystème : entreprises, startups, institutions, organismes de recherche ou de formation, acteurs de la société civile… pour faire avancer les usages, partager l’état de l’art et favoriser l’adoption de l’IA responsable.
Son groupe de travail dédié à l’éducation étudie comment l’IA peut faire évoluer les pratiques d’enseignement et l’apprentissage, mais aussi contribuer à l’acculturation à ces technologies.
Pour ce livre blanc, il s’est associé à EdTech, une initiative d’entrepreneurs français
ayant décidé de rendre la technologie et l’innovation utiles à l’éducation. L’ambition de cette dernière est de démontrer, partout en France, la remarquable contribution du numérique aux pratiques pédagogiques et expériences d’apprentissages et de promouvoir le savoir-faire des entreprises françaises à travers le monde.
Le contexte
On compte en France 12 millions de personnes en situation de handicap, toutes catégories et tous âges confondus, soit 1 français sur 6 (Source l’INSEE 2016). Le nombre de personnes bénéficiaires de l’obligation d’emploi est de 2,7 millions (source INSEE).
Le tableau de bord sur l’emploi des personnes en situation de handicap produit par l’Agefiph en avril 2022 indique que sur ces 2,7 millions de personnes :
• Seulement 955 000 sont en activité (salarié ou autre) ;
• 14% sont au chômage, dont 60 % en chômage de longue durée (+5 points en un an).
Selon les chiffres du Ministère de la Santé et de la Prévention, 25 % des personnes
en situation de handicap ont un niveau d’étude équivalent ou supérieur au bac, contre 44 % pour l’ensemble des Français. Concernant les enfants, 380 000 sont scolarisés dont 321 476 en milieu ordinaire.
Les problèmes concernant la formation se posent dès le départ avec deux problématiques : l’accès à la formation d’une part, et l’adaptation de la formation au contexte particulier de chaque individu d’autre part. Ceci est vrai de la formation initiale à la formation supérieure, puis dans le milieu professionnel.
Si les réponses ne sont pas nécessairement les mêmes en fonction du handicap et de l’âge, cette étude se fonde sur la conviction que les outils numériques enrichis d’intelligence artificielle peuvent apporter une aide significative au dispositif de formation aidant à la meilleure intégration des personnes en situation de handicap.
La loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » du 5 septembre 2018 introduit l’obligation pour tous les organismes de formation de rendre leurs formations accessibles aux personnes en situation de handicap.
Pour les auteurs de ce livre blanc, la mise en œuvre de ces obligations ne pourra se réaliser sans outils performants. La réponse actuelle est le plus souvent l’accompagnement humain, dont il ne s’agit pas de s’affranchir mais d’outiller pour qu’il puisse se concentrer sur l’essentiel qui ne peut être remplacé doivent intégrer cette dimension.
Le livre se divise en trois parties: la première partie donne une vision de la situation actuelle à travers des témoignages de personnes en situation de handicap, la seconde se compose d’interviews d’éditeurs de solutions numériques qui ont intégré l’IA dans leur processus de formation et la troisième retrace les prospectives sur les besoins et les solutions qui vont continuer à se développer ou apparaître, ainsi que des propositions et des recommandations.
Témoignages de personnes en situation de handicap
Les auteurs ont souhaité écouter les personnes en situation de handicap leur parler de leurs expériences, leurs difficultés, et leurs souhaits. Les besoins et les solutions étant variables d’un handicap à un autre, ils ont recueilli les témoignages de personnes ayant des handicaps de nature différente : auditifs, visuels, physiques ou cognitifs. Les difficultés de formation y sont tout d’abords abordées, puis les solutions adoptées par les témoins.
Handicap auditif
Le principal problème rencontré par les personnes ayant ce handicap, qu’il soit de
naissance ou progressif, est, selon Emmanuelle, que trop peu d’enseignants connaissent la langue des signes en milieu ordinaire, et que toutes les personnes ayant ce handicap n’y sont pas non plus formées, tout comme elle.
Si elle est aujourd’hui ingénieure informatique, c’est en grande partie grâce au partage des prises de notes de camarades de promotion et à d’importants efforts personnels. Comme elle ne connaît pas la langue des signes, elle utilise la méthode LCP (Langage Parlé Complété), peu connue des enseignants, pédagogues en milieu ordinaire et notamment par ceux qui élabore les supports de formations, les vidéos…
Il est difficile d’identifier les formations sous-titrées, et si la lecture sur les lèvres est possible, cela reste trop fatigant pour suivre une formation complète. Christine rajoute que les solutions existantes nécessitent souvent un matériel informatique puissant qui peut être lourd et peu transportable. Trop peu de formations sont adaptées au handicap auditif, les deux témoins évoquent les organismes OpenClassroom ou FunMooc.
Emmanuelle cite également la formation Intera11y (formation à distance synchrone) de la société O’Clock qui a revu son architecture pour l’adapter aux profils ayant une déficience auditive ou visuelle. Les vidéos qui ont un sous-titrage automatique ont beaucoup d’erreurs de traduction et n’offrent pas la possibilité de correction par la suite (par exemple Google Meet).
Les auteurs notent cependant une amélioration depuis 2 ans, notamment avec des vidéos YouTube mieux sous-titrées, et le développement de l’IA et des assistants vocaux.
Quelles sont les solutions utilisées?
Emmanuelle, comme Christine, ont testé de nombreuses solutions pour pallier leur situation : les E-transcripteurs, permettant la transcription instantanée de la parole (TIP). Par ailleurs, elles identifient : AVA solution (payante), Microsoft translator.
Pour les formations en visio synchrone, les outils du marché comme Teams, Skype proposent des sous-titres mais les résultats ne sont pas très fiables. Pour le téléphone, la solution Elioz connect est une mise en relation automatisée avec un aidant. Cela peut être un complément aux formations et notamment utile quand le tutorat se fait au téléphone.
Handicap visuel
Manuel, dont le handicap visuel est de naissance, a obtenu un Master 2 de juriste d’affaires, grâce à l’aide d’assistants dédiés et camarades de classe, les formations n’étant pas adaptées à son handicap. Il n’a pas identifié de solution permettant de compenser à 100% son handicap, mais cite cependant deux entreprises : Open Classroom pour certains modules, et O’clock pour son cursus en ligne.
Quelles sont les solutions utilisées ?
Il utilise le logiciel de revue d’écran « JAWS » qui permet la lecture vocale de tout l’environnement Windows et de tous les logiciels, une solution payante.
Une alternative à cette solution est le « NVDA » ou Non Visual Desktop Access, un lecteur libre et gratuit qui permet d’avoir accès à une lecture d’écran grâce à la synthèse vocale et à des fonctionnalités d’impression en braille.
Autre solution, le logiciel de reconnaissance de caractères « OpenBook » qui permet de lire, modifier et gérer les documents numérisés ainsi que la conversion de documents au format numérique.
Le logiciel « EasyConverter » permet de créer des documents en braille, gros caractères, Word et même en MP3. C’est un outil que devraient maîtriser les pédagogues souhaitant élaborer des supports accessibles aux mal voyants.
Le logiciel « Supernova Agrandisseur Vocal » facilite la navigation sur le web en caractères agrandis et visuellement adaptés et permet la navigation tactile.
Le logiciel « Dragon Professional Individual » permet d’écrire sans clavier en utilisant juste la voix.
« VoxiWeb » a été développé pour permettre aux personnes aveugles d’avoir accès à l’Internet.
Handicap physique (Maladie invalidante)
Tony, atteint d’une maladie qui l’empêche d’être en position assise trop longtemps, suit une formation en alternance de développeur web mais rencontre des difficultés à suivre des formations sur des temps longs. Sa chaise doit être adaptée ce qui lui rend difficile les formations en présentiel. Après avoir essayé plusieurs dispositifs (webinaire, Teams, MOOC), il a choisi le système de classe virtuelle proposé par la société O’clock, son système d’assistance, de replay, et de partage avec les autres étudiants lui permettant de suivre la formation diplômante en synchrone.
Il regrette que le système ne lui permette pas de zoomer sur l’écran car, quand il est en position allongée la lecture de certains documents est peu aisée.
Au sein de son entreprise, il travaille essentiellement à distance et utilise Teams, un wiki interne, et partage beaucoup avec ses collègues et son responsable.
Le choix de la formation et des outils numériques (classe virtuelle, Chat de partage, Slack, tutorat) proposés par O’Clock, lui conviennent mais il souhaiterait avoir plus de choix dans les formations, notamment concernant les soft-skills. Pour ces dernières, il y a peu, voire pas (lui n’en a pas identifié) de formation à distance synchrone lui permettant à la fois d’apprendre, mais également de partager avec d’autres apprenants en direct.
Handicap cognitif « Dyslexie »
Charles, ingénieur informaticien, diplômé de 3IL Limoges, et Julien, développeur informatique après avoir obtenu une licence au Cnam, souffrent tous 2 de dyslexie. Leurs études ont pu se faire grâce des efforts importants dans la prise de notes, beaucoup d’aide de leurs camarades, et l’appui principalement de l’outil numérique Antidote.
Ecrire un mail ou un rapport représente une vraie difficulté pour eux, d’autant plus qu’ils travaillent dans une société internationale où l’usage de la langue anglaise est de rigueur. En effet, l’anglais est la langue la plus difficile pour des dyslexiques (sonorité /
différenciation des sons).
Quelles sont les solutions utilisées ?
Antidote est l’outil numérique du quotidien : la solution corrige les fautes, les syntaxes, facilite l’écriture des mails, des rapports… Le logiciel fonctionne sous Windows et MacOs, mais pas encore sous Android.
Le logiciel « Dragon » est également utilisé, car il permet d’écrire à partir de la voix… mais ce système n’est pas toujours adapté à la dyslexie (la pensée, la voix et l’écriture étant difficile à aligner).Une version du logiciel d’antidote en anglais vient de sortir, mais ni Julien ni Charles ne l’avaient testée. C’est cependant une véritable attente.
Les formations en ligne, et notamment les vidéos traduites ou retranscrites à l’écrit ne sont pas adaptées (débit trop rapide).
L’usage de Teams ou Skype pour les « visio » et certaines formations, nécessite l’usage d’un dictaphone, ou une prise de note par un collègue. Suivre des formations synchrones trop longues n’est pas possible car trop fatigant au bout d’un certain temps.
Handicap cognitif « autiste asperger »
Si l’intégration au sein d’une équipe de Gabriel, analyste développeur au sein d’une entreprise d’informatique, sa montée en compétences est aujourd’hui réelle.
En parallèle de son activité professionnelle il suit une formation d’analyste développeur au sein du CFA Insta. Il n’y a pas de dispositif particulier dédié à son profil, mais un coaching personnalisé, notamment pour gérer les projets de groupe et le « pitch » en public. Il bénéficie d’un coaching en ligne et en présentiel régulier, notamment pour la partie « soft skills ».
Quelques établissements intègrent au sein de leurs promotions des profils ayant un handicap cognitif de type asperger : l’UPEC, ou le CFA Insta, proposent un accompagnement personnalisé, sur un parcours hybride (présentiel/ à distance) ciblant des formations au numérique.
Les organismes Simplon et Webforce3, ont lancé des formations dédiées à ces profils en mixant la formation à distance, le présentiel et un accompagnement individualisé pour ce qui est du travail sur les « soft skills » et l’insertion professionnelle, codes de l’entreprise…
La deuxième partie du livre blanc est composée d’interviews d’éditeurs de solutions. Cette liste non exhaustive recense 16 acteurs de solutions numériques qui ont su intégrer l’intelligence artificielle dans leur processus de formation. En s’appuyant sur ces éditeurs, on constate que les améliorations sont nettement significatives.
La troisième partie retrace les 10 prospectives sur les besoins et les solutions qui vont continuer à se développer ou apparaître, 4 propositions et 2 recommandations. La première recommandation pour que l’IA permette l’accessibilité de toutes les formations, et la seconde pour que l’IA soit un outil d’aide au formateur, lui permettant d’adapter son enseignement au contexte de la personne, avec un meilleur échange entre le formateur et le formé.
Références de l’article :
- ImpactAI
- Livre Blanc IA et Inclusion
Télécharger le livre blanc : www.impact-ai.fr/fr/inclusion