Focus pays Finlande : le pari de l’éducation et de la coopération

La Finlande a lancé sa stratégie en matière d’IA en 2017 pour stimuler la recherche et l’éducation dans le domaine. Avec ses 5,5 millions d’habitants, le pays des Mille Lacs vise à devenir un pays leader en matière d’IA. Il se place en deuxième position parmi les pays européens, comptant le plus grand nombre d’experts en IA par habitant (LinkedIn Economic Graph 2019). Focus donc sur la Finlande qui mise sur un niveau élevé de formation et de coopération active entre les acteurs afin de créer un environnement de recherche et d’innovation dynamique et attractif.

Une stratégie avant-gardiste

L’intérêt de la Finlande pour les nouvelles technologies ne date pas d’hier, bien au contraire. Nokia a été durant de nombreuses années l’image de marque du pays, sans compter le dynamique tissu académique et entrepreneurial.

Considérée comme avant-gardiste en matière de révolution numérique et d’innovation, notamment grâce à des initiatives et politiques ambitieuses autour du numérique, la Finlande a su mobiliser sa population, son administration et ses entreprises autour de la diffusion des technologies numériques, via l’accès aux données publiques ou l’attention particulière portée au système éducatif.

La transformation numérique et le développement des technologies d’IA ont permis la mise en place d’initiatives et de programmes comme AuroraAI, lancé par le ministère finlandais des Finances, et qui vise à aider les citoyens et les entreprises en leur proposant des services axés sur leurs besoins. Cet intérêt pour l’IA répond au potentiel économique important du domaine. Plusieurs études indiquaient en effet dès 2017 que l’IA pourrait permettre à la Finlande de doubler son taux de croissance économique d’ici 2035 (Accenture et Frontier Economics 2017).

Le pays serait en effet la deuxième économie mondiale ayant potentiellement le plus à gagner du développement de l’IA, derrière les États-Unis.
Pour que ces analyses deviennent réalité, le gouvernement finlandais a donc mis en place dès 2017 un plan d’action en trois volets :

  • un groupe d’experts, d’acteurs et de personnalités académiques, scientifiques et économiques, sous l’égide du ministère de l’Économie et de l’Emploi, chargé de proposer des recommandations pour le développement de l’IA en Finlande ;
  • un programme IA ;
  • une enveloppe de 200 millions d’euros sur la période 2018-2021, inscrite au budget de Business Finland.

Business Finland est l’organisation gouvernementale finlandaise pour le financement de l’innovation et la promotion du commerce, des voyages et des investissements. Cette agence publique est au cœur de la stratégie de développement finlandais. Cette organisation gouvernementale est chargée notamment du financement de l’innovation et des startups dans le domaine de l’IA. Le programme AI Business dirigé par Outi Keski-Äijö est l’une des initiatives lancées par le programme national d’intelligence artificielle de 2017. Prévu de 2018 à fin 2021, il a à ce jour aidé plus de 300 entreprises d’IA, ce qui représente environ 200 millions d’euros de financement. Ce programme vise à soutenir les startups et à augmenter l’attractivité du pays pour la recherche et le développement de l’IA.

La formation comme priorité

Quand on évoque la recherche en IA en Finlande, on ne peut ignorer Teuvo Kohonen, académicien, chercheur et professeur émérite à l’Académie de Finlande. Spécialiste des réseaux neuronaux artificiels, il a travaillé sur l’algorithme du Learning Vector Quantization basé sur la quantification vectorielle ou encore sur la théorie fondamentale sur la mémoire. Il a également présenté la carte autoadaptative dite « carte de Kohonen » dans les années 1980, qui a marqué l’histoire de la recherche sur les réseaux de neurones et la reconnaissance de formes en Finlande.
Ces dernières années, plus de 6300 étudiants suivaient au moins un cours d’IA dans le cadre de leur formation. Les grandes universités finlandaises proposent près de 250 cours individuels d’IA et plus de 40 formations de niveau master, 19 programmes de niveau licence et 3 programmes de doctorat. Il faut ajouter à celles-ci les 26 formations dispensées par les grandes écoles spécialisées et le Centre de recherche technique VTT de Finlande.

À l’heure actuelle, plusieurs universités finlandaises proposent un enseignement de haut niveau sur l’IA. Elles misent notamment sur des opportunités d’apprentissage accessibles et sur l’attrait des citoyens pour le numérique, grâce notamment à des cours publics gratuits en ligne comme Elements of AI.

Sensibiliser la population aux enjeux de l’intelligence artificielle est l’objectif de la Finlande pour développer la recherche et le développement d’activités et de solutions sur un secteur économique en plein essor et au potentiel élevé.

C’est un sujet sur lequel l’Académie de Finlande s’est positionnée via son programme ICT 2023 pour la R&D et l’innovation et pour renforcer les connaissances et les applications en machine learning, internet industriel, technologies et services de santé innovants centrés sur l’utilisateur. Des centres de recherches comme l’Institut d’informatique d’Helsinki (HIIT), se sont rapidement développés pour accueillir les chercheurs et les entreprises.

Elements of AI

Lancée début 2018 par l’université d’Helsinki, Elements of AI est une série de MOOCs conçue en collaboration avec la société Reaktor. Elle a été classée no 1 mondial par le portail de cours en ligne Class Central et Forbes et a remporté le grand prix Inclusive Innovation Challenge du MIT. Les cours peuvent être suivis au rythme de chacun et combinent théorie et exercices pratiques.

Le premier volet, Introduction to AI, permet de se familiariser avec le machine learning, les réseaux de neurones, la résolution de problèmes grâce à l’IA ou encore la philosophie de l’IA. Plus de 1 % de la population finlandaise a été formée aux bases de l’IA grâce à ce cours en ligne gratuit. À l’occasion de la présidence finlandaise du Conseil de l’Union européenne en 2019, le MOOC a été traduit dans de nombreuses langues pour permettre aux citoyens européens de se former eux aussi aux bases de l’IA. Pour sa version française, le partenaire de cette initiative a été Sorbonne-Université.

L’an dernier, Elements of AI a partagé son nouveau MOOC, Building AI, qui permet de découvrir les algorithmes servant à créer des méthodes d’IA. Certaines compétences de base en programmation Python sont recommandées pour tirer le meilleur parti du cours. Depuis son lancement, Elements of AI a formé près de 620 000 personnes, et diplômé des étudiants de plus de 170 pays. À noter que 40 % des participants aux cours sont des femmes, soit plus du double de la moyenne des cours d’informatique.

Le MOOC Ethics of AI lancé par l’université d’Helsinki fin 2020 s’intéresse quant à lui à l’éthique de l’intelligence artificielle et propose des textes, des exercices et un grand nombre de cas réels illustrant différents points de vue éthiques.

Faciliter l’accès aux supercalculateurs

Le CSC (IT Center for Science), basé à Kajaani, se présente comme l’un des plus grands acteurs mondiaux dans le domaine du calcul haute performance. Cette entreprise publique à but non lucratif abrite le système national de calcul et de gestion des données de la Finlande et a été choisie pour accueillir l’un des trois supercalculateurs pré-exascale de l’initiative EuroHPC.

Un projet de 200 millions d’euros financé à 50 % par la Commission européenne et à 50 % par les dix pays participants. Le supercalculateur LUMI, installé en 2021, disposera d’une puissance de calcul crête de 552 petaflops, soit 552 millions de milliards d’opérations en virgule flottante par seconde.

Le CSC, qui fournit déjà aux startups finlandaises des ressources informatiques gratuites pour leurs projets de recherche grâce à la subvention informatique de Business Finland, réservera 20 % de la capacité de calcul de LUMI aux industriels et PME-PMI.

Le Centre finlandais pour l’intelligence artificielle (FCAI)

Le FCAI est l’un des programmes phare de l’Académie de Finlande. Il rassemble des experts académiques, industriels et venant du secteur public, travaillant notamment sur l’Agile probabilistic AI, la Simulator-based inference, le Next-generation data-efficient deep learning, la Privacy-preserving and secure AI, l’IA interactive, l’IA autonome et l’IA dans la société.

Le centre dispose d’un budget de 250 millions d’euros pour 2019-2026, il est devenu l’un des pôles d’innovation numérique de la Commission européenne (AI DIH) formé par une communauté d’experts de l’université Aalto, de l’université d’Helsinki et de VTT.

Le FCAI, le Tampere AI Hub et l’Académie AI de l’université de Turku, entre autres, ainsi que des initiatives régionales et d’autres accélérateurs ont également pour objectif de transférer efficacement les compétences aux startups et entreprises afin de stimuler la commercialisation de l’IA et accélérer son déploie-ment.

Un écosystème entrepreneurial innovant et dynamique

La Finlande compte plus de 300 startups IA dans différents domaines commerciaux. Les liens avec la recherche acadé-mique, les organismes de recherche et les acteurs publics sont particulièrement renforcés pour que les jeunes pousses puissent accéder à toutes les clés pour s’inscrire dans les marchés et créer de nouveaux secteurs porteurs. La région d’Helsinki a notamment été reconnue comme l’un des plus importants écosystèmes de démarrage d’IA en Europe.

Les entreprises peuvent compter sur de larges bases de données mises à disposition des entreprises afin de susciter une plus grande et plus rapide adoption de l’IA dans le pays.

Les startups finlandaises essaient de capitaliser sur les traditions de recherche, en reconnaissance des formes, en TAL ou en vision industrielle par exemple, et sur les coopérations entre secteurs. La société de radiodiffusion nationale finlandaise (YLE) a lancé l’an dernier une campagne de collecte du finnois parlé dans tout le pays afin que les algorithmes puissent apprendre à comprendre et à reconnaître les spécificités langagières.

En matière de collaboration, les exemples ne manquent pas. La société Bilot a développé un modèle pour YIT, la plus grande entreprise de construction de Finlande, afin d’optimiser les procédures de maintenance sur les routes et les rues grâce au machine learning. Top Data Science a développé une solution d’analyse vidéo pour aider les sites japonais à gérer la distanciation sociale en cette période de pandémie.

De son côté, en collaboration avec la Banque mondiale, Headai a réalisé une analyse du marché du travail et une évaluation des lacunes dans les curriculum vitæ à l’aide de mégadonnées analysées par IA en Afrique, ce qui a permis de trouver des points d’action importants pour faire évoluer les formations universitaires et gagner en pertinence dans la vie professionnelle.

La startup Solita s’est appuyée sur son expertise en orthopédie et en IA pour développer avec Coxa Hospital for Joint Replacement le premier logiciel médical CE évaluant les risques d’une chirurgie articulaire pour un patient spécifique. Parallèlement, Silo AI a collaboré d’une part avec Philips pour le développement d’une solution de vision par ordinateur pour l’analyse des images IRM et d’autre part avec IDS, filiale d’Allianz, pour améliorer les flux de travail financiers, la prévisibilité et l’évaluation des risques.

Dans un secteur totalement différent, la startup Fourkind a créé en coopération avec la distillerie de whisky suédoise Mackmyra le premier whisky au monde entièrement développé par apprentissage automatique.

Focus sur deux start-ups

Awake.AI

La startup Awake.AI, créée en octobre 2018 et co-fondée par Karno Tenovuo, propose des solutions et des plateformes de données collaboratives et ouvertes pour faciliter la création d’écosystèmes pour les ports intelligents et l’évolution de la navigation autonome, augmenter l’efficacité opérationnelle et créer de nouveaux services numériques pour tous les acteurs de l’écosystème portuaire.

Partant du constat que plus de 90 % des exportations finlandaises transitent par les ports, Awake.AI s’est développée pour proposer le port intelligent et la plateforme d’expédition autonome les plus fiables au monde et un orchestrateur d’écosystème mondial d’ici 2025.

Silo AI

Silo AI, présenté comme étant le plus grand laboratoire privé de solutions d’IA des pays nordiques, s’est spécialisé dans la création d’une IA centrée sur l’humain en tant que service et cherchant à accélérer la coopération homme-machine pour l’intelligence collective.

L’origine de Silo AI remonte à la crise financière mondiale de 2009 lorsque Peter Sarlin (P.-D.G.) et son groupe de recherche ont conçu une solution d’IA permettant de préserver la stabilité financière de la Banque centrale européenne. En 2017, Tero Ojanperä, Ville Hulkko, Kaj-Mikael Björk, Juha Hulkko et Johan Kronberg se sont unis à Peter Sarlin pour former Silo AI.

Avec ses quelque 90 experts en IA, 50 doctorants et 100 projets en IA, le laboratoire a déployé ses solutions en Finlande et se développe à l’international en proposant une expertise et des outils de pointe, en particulier de vision par ordinateur, de traitement du langage naturel et d’apprentissage automatique.

Avec son projet Growth Engine, l’entreprise cherche à développer un écosystème rassemblant des experts en IA et des partenaires technologiques pour générer de nouvelles opportunités commerciales et mettre en avant l’expertise finlandaise, notamment sur les marchés internationaux.

Trois questions à Outi Keski-Äijö

Responsable du programme AI Business au sein de Business Finland

Quels secteurs de l’économie finlandaise pourraient bénéficier le plus des technologies basées sur l’IA ?

Notre stratégie étant d’être un leader mondial dans l’application de l’IA, nous visons une large adoption de l’IA à la fois dans les secteurs privé et public. Bien entendu, nos secteurs d’exportation sont les plus importants : les TIC, les machines intelligentes, les technologies propres (cleantech), les technologies de la santé et le transport maritime.
Les TIC et les technologies de la santé sont actuellement les domaines les plus avancés car plus de données sont disponibles. De nouveaux secteurs tels que celui des véhicules autonomes font également leur apparition.

La coopération entre le monde académique et l’entreprise semble particulièrement forte en Finlande, comme se traduit-elle concrètement ?

Nous avons une longue tradition de coopération étroite entre les universitaires et les entreprises en Finlande. Nous promouvons également cette coopération par le biais de nos instruments de financement de Business Finland. En outre, nous avons encouragé les universités à créer des centres d’IA afin de transférer efficacement les connaissances et les résultats de la recherche sur l’IA aux entreprises. Ces centres proposent aux entreprises des formations, des ateliers et des conseils en IA. De plus, de nombreux chercheurs en IA se lancent dans les affaires, en particulier en fondant de nouvelles startups.

Quelle est la dernière entreprise ou projet finlandais d’IA qui vous a personnellement étonné ?

J’en citerai deux : le résultat significatif d’un projet de recherche de la FCAI et une entreprise finlandaise de technologie de la santé qui a réussi à combiner l’IA avec d’autres résultats de recherche. Twinify est l’une des réussites de la FCAI. Les chercheurs ont développé une méthode basée sur l’apprentissage automatique qui crée un jumeau de données synthétiques d’un ensemble de données d’origine en conservant toutes les propriétés statistiques de l’ensemble de données d’origine. Cela permet le partage de données sans compromettre la confidentialité. Ceci est particulièrement important dans la recherche en santé, et il peut être appliqué à tous les secteurs.
Deep Sensing Algorithms est une société finlandaise qui a développé grâce à l’IA un dispositif de poche d’analyse de l’haleine pour participer à la lutte contre le Covid-19. Destiné à sa détection par les professionnels de santé et en particulier aux dépistages rapides pour de grandes foules, il est capable de tester une personne toutes les deux minutes.

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