Des chercheurs du MIT et de l’Université de Bâle ont utilisé l’IA générative pour développer une technique basée sur la physique afin de classer les transitions de phase dans les matériaux ou les systèmes physiques. Cette méthode, nettement plus efficace que les approches d’apprentissage automatique traditionnelles, pourrait transformer la manière dont les scientifiques explorent les propriétés des matériaux. Leurs résultats ont été récemment publiés dans la revue Physical Review Letters.
Comprendre les transitions de phase
Les diagrammes de phase sont fondamentaux en physique et essentiels pour la compréhension du comportement des matériaux dans diverses conditions. Ils décrivent les états dans lesquels un matériau peut exister : l’eau, par exemple, peut être trouvée sous forme de glace, de liquide ou de vapeur. Entre ces phases, des transitions de phase se produisent en fonction de différents paramètres tels que la température ou la pression.
Les transitions de phase sont un sujet de recherche très actif, les scientifiques s’intéressent particulièrement aux transitions dans des matériaux moins conventionnels ou des systèmes complexes, tels que le passage d’un conducteur ordinaire à un supraconducteur ou d’un état non magnétique à un état ferromagnétique. Ces transitions sont détectées grâce à un “paramètre de commande” qui varie de manière significative lors du changement de phase.
Cependant, le calcul des diagrammes de phase est extrêmement complexe, reposant traditionnellement sur une expertise théorique approfondie et des techniques manuelles fastidieuses. Les systèmes physiques sont en effet constitués de nombreuses particules interagissant entre elles, créant une multitude d’états possibles, états qui étaient classés jusque-là grâce aux réseaux de neurones.
Julian Arnold, doctorant dans le groupe de Christoph Bruder de l’Université de Bâle, explique :
“Le problème est qu’un solide ou un liquide est constitué de très nombreuses particules – atomes ou molécules. Ces particules interagissent, c’est-à-dire qu’elles s’attirent ou se repoussent ; ils forment ce que l’on appelle un système à N corps. Il existe de nombreuses possibilités pour l’état général du matériau – caractérisé par la position des particules, mais aussi des propriétés supplémentaires, telles que l’orientation des spins, qui indiquent la direction de l’aimantation”.
Une nouvelle approche basée sur l’IA générative
Les chercheurs du MIT et de l’Université de Bâle ont exploité des modèles génératifs d’IA pour développer un cadre d’apprentissage automatique capable de cartographier automatiquement les diagrammes de phase des systèmes physiques. Contrairement aux classificateurs discriminants, les modèles génératifs estiment la distribution de probabilité des données et peuvent générer de nouveaux points de données qui correspondent à cette distribution, ce qui permet de construire un classificateur basé sur la physique sans nécessiter de grandes quantités de données d’entraînement.
Cette approche est inspirée de modèles d’IA générative comme ChatGPT, qui utilisent des algorithmes complexes pour générer du contenu nouveau à partir de données existantes. En appliquant cette technique aux systèmes physiques, les chercheurs peuvent estimer approximativement les distributions de probabilité des états du système, permettant une classification plus efficace et précise des phases.
Frank Schäfer, postdoctorant au laboratoire Julia du laboratoire d’informatique et d’IA (CSAIL) et co-auteur, souligne :
“C’est une très bonne façon d’incorporer quelque chose que vous savez sur votre système physique au plus profond de votre schéma d’apprentissage automatique. Cela va bien au-delà de la simple ingénierie des caractéristiques sur vos échantillons de données ou de simples biais inductifs”.
Julian Arnold teste actuellement cette méthode sur des modèles de trous noirs pour détecter leurs transitions de phase. À l’avenir, cette technique pourrait automatiser les laboratoires de physique, l’algorithme définissant automatiquement les paramètres de contrôle des expériences et calculant immédiatement les diagrammes de phase à partir des données mesurées. Les scientifiques pourraient également utiliser cette approche pour résoudre différentes tâches de classification binaire dans les systèmes physiques.
Implications pour les modèles de langage
Il est intéressant de noter que cette méthode inspirée de ChatGPT peut également être appliquée à des modèles de langage comme ChatGPT lui-même. Par exemple, la “température” de ChatGPT peut être ajustée pour contrôler la créativité de l’algorithme. Une température basse produit des résultats prévisibles, tandis qu’une température élevée génère du texte plus aléatoire et chaotique. La technique des chercheurs pourrait déterminer la transition optimale entre ces phases et ajuster les modèles de langage en conséquence.
Sources de l’article :
“Mapping Out Phase Diagrams with Generative Classifiers” : https://doi.org/10.1103/PhysRevLett.132.207301
AUTEURS ET AFFILIATIONS
Julian Arnold1, Frank Schäfer2, Alan Edelman2,3, et Christoph Bruder1
- 1Département de physique, Université de Bâle, Klingelbergstrasse 82, 4056 Bâle, Suisse
- 2CSAIL, Massachusetts Institute of Technology, Cambridge, Massachusetts
- 3Département de mathématiques, Massachusetts Institute of Technology, Cambridge, Massachusetts