Au niveau mondial, le nombre de personnes consommant des médicaments prescrits par ordonnance pour des raisons autres pour lesquelles ils l’ont été, les associant parfois à d’autres substances comme l’alcool pour mieux dormir ou des stimulants pour être plus performants, a considérablement augmenté. Une équipe d’informaticiens et de médecins urgentistes des universités américaines d’Emory, d’Oregon et de Pennsylvanie a utilisé l’IA pour analyser le mésusage des médicaments et les émotions ressenties par les utilisateurs en période de consommation. L’étude intitulée “Large-Scale Social Media Analysis Reveals Emotions Associated with Nonmedical Prescription Drug Use” a été publiée dans la revue Health Data Science.
En 2021, aux États-Unis, plus de 108 000 personnes sont mortes d’overdose, un chiffre en hausse de 20 % par rapport à 2020, un bon nombre de ces décès a été causé par l’ingestion de médicaments sur ordonnance, souvent mélangés à d’autres substances. En France, plus de 10 000 personnes meurent chaque année des suites d’une mauvaise utilisation de médicaments.
L’utilisation de médicaments d’ordonnance non médicaux (NMPDU) concerne principalement les opioïdes, les stimulants du système nerveux central et les benzodiazépines. Les études portant sur son influence sur la santé mentale sont basées sur des enquêtes qui ont démontré que les NMPDU impliquant des opioïdes sont fortement associés à des troubles psychiatriques. Ainsi, une analyse des données de l’Enquête nationale sur la consommation de drogues et la santé (NSDUH) a révélé des associations entre l’abus d’opioïdes et les facteurs de risque liés au suicide.
Cependant, si des études ont tenté de caractériser les raisons de la NMPDU, elles n’abordent pas l’état émotionnel des consommateurs. Des recherches récentes ayant démontré que les médias sociaux peuvent combler certaines des lacunes de ces études traditionnelles basées sur des enquêtes, l’équipe a analysé environ 137 millions de messages de 87 718 utilisateurs de Twitter en termes d’émotions, de sentiments, de préoccupations et de raisons possibles de NMPDU via le traitement du langage naturel.
L’analyse à grande échelle des messages sur twitter révèle les émotions associées à la consommation de médicaments d’ordonnance non médicaux
Dans cette étude, les chercheurs ont utilisé des approches de traitement du langage naturel (NLP) et d’apprentissage automatique pour étudier un vaste ensemble de données de Twitter sur trois catégories de médicaments d’ordonnance courantes et leurs combinaisons (opioïdes, benzodiazépines, stimulants et polysubstances (abus de deux ou plusieurs catégories différentes de NMPDU en même temps, généralement appelée coingestion) pour étudier et répondre aux principales questions de recherche suivantes:
- En quoi les contenus émotionnels exprimés dans les profils Twitter des groupes NMPDU diffèrent-ils de ceux exprimés dans les profils Twitter des groupes non-NMPDU (groupe témoin)?
- En quoi les tweets NMPDU diffèrent-ils sentimentalement des tweets non NMPDU ?
- En quoi les préoccupations personnelles, sociales, biologiques et fondamentales exprimées dans les profils Twitter des groupes NMPDU diffèrent-elles de celles exprimées dans les profils Twitter des groupes non-NMPDU ?
Ils ont également utilisé la modélisation thématique sur les tweets NMPDU pour extraire les raisons potentielles de l’utilisation non médicale de chaque catégorie de drogues, et comparé les distributions (de toutes les variables mentionnées ci-dessus) entre les hommes et les femmes.
Les conclusions de l’étude
Ces analyses de données à grande échelle montrent qu’il existe des différences substantielles entre les textes des messages des utilisateurs qui déclarent eux-mêmes une NMPDU sur Twitter et le groupe témoin, ainsi qu’entre les hommes et les femmes qui la signalent.
Les utilisateurs masculins ont exprimé une colère plus élevée et une positivité, une joie, une anticipation et une tristesse plus faibles. En termes de contenu social et personnel, par rapport aux utilisateurs masculins, les utilisatrices partageaient plus de contenu lié à la vie sociale (amis et famille), à la santé et aux préoccupations personnelles (à la maison). Toutefois, les différences étaient constantes entre les différentes catégories de médicaments.
Bien que les systèmes de surveillance basés sur les médias sociaux ne remplacent pas les systèmes traditionnels, ils peuvent offrir des informations complémentaires. Les connaissances acquises lors de cette étude pourraient ainsi aider à personnaliser les programmes de sensibilisation et d’intervention en fonction des cohortes ciblées afin d’atténuer les répercussions du mésusage des médicaments prescrits par ordonnance.
Référence :
“Large-Scale Social Media Analysis Reveals Emotions Associated with Nonmedical Prescription Drug Use” Health Data Science, https://doi.org/10.34133/2022/9851989
Auteurs :
Mohammed Ali Al-Garadi,1 Yuan-Chi Yang,1Yuting Guo,2Sangmi Kim,3Jennifer S. Love,4 Jeanmarie Perrone,5Abeed Sarker.1,6
1Department of Biomedical Informatics, School of Medicine, Emory University, Atlanta, GA, USA
2Department of Computer Science, Emory University, Atlanta, GA, USA
3School of Nursing, Emory University, Atlanta, GA, USA
4Department of Emergency Medicine, School of Medicine, Oregon Health & Science University, Portland, OR, USA
5Department of Emergency Medicine, Perelman School of Medicine, University of Pennsylvania, Philadelphia, PA, USA
6Department of Biomedical Engineering, Georgia Institute of Technology and Emory University, Atlanta, GA, USA