Dans un article paru dans la revue Nature Communications le 19 février 2021, des chercheurs de l’Université d’Évry, du CEA, du CNRS, de l’APHP et du CHU Henri Mondor et de Médecins Sans Frontières (MSF) ont dévoilé l’application mobile développée pour faciliter le diagnostic de l’antibiorésistance enjeu majeur de santé publique. Les résultats démontrant la faisabilité technique d’une telle application sont présentés dans l’article.
Cet outil, créé avec le support de la Fondation MSF, sera utilisable gratuitement partout dans le monde par les personnels de santé après sa validation clinique et l’obtention de la certification CE qui est en cours de finalisation par les équipes de MSF.
La résistance aux antibiotiques est une menace majeure pour la santé mondiale.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) pointe la résistance croissante de micro- organismes aux antibiotiques comme l’un des grands défis sanitaires du XXIe siècle. L’antibiorésistance pourrait devenir la première cause de mortalité au monde devant les cancers et causer alors 10 millions de morts par an, dont près de 90 % en Asie et en Afrique, faute de moyens. L’utilisation raisonnée des antibiotiques est donc primordiale et nécessite pour cela une évaluation robuste de la sensibilité des bactéries aux antibiotiques. MSF s’est engagé depuis plusieurs années dans la lutte contre l’antibiorésistance, principalement dans les pays en conflit où MSF reçoit des blessés de guerre infectés par des bactéries multi résistantes.
Dans les pays industrialisés, l’identification de l’antibiorésistance est facilitée par l’utilisation d’automates pour la lecture et l’interprétation des antibiogrammes. Des microbiologistes mettent en culture dans des boîtes de Petri sur milieu gélosé les bactéries du patient à traiter. Ils y déposent des disques de papier contenant une concentration précise de chaque antibiotique. Ces derniers diffusent dans la gélose et tuent ou non les bactéries présentes. Lorsque la bactérie est sensible à l’antibiotique, elle disparaît dans une zone concentrique autour du disque : on appelle cela la zone d’inhibition. C’est à partir de la mesure du diamètre de ces zones d’inhibition et leur comparaison à des abaques de lecture qu’est définie l’antibiorésistance . L’interprétation dépend de règles précises proposées par les experts en microbiologie.
Ces antibiogrammes sont réalisés par des techniciens puis généralement analysées dans des lecteurs-incubateurs d’antibiogrammes, un matériel coûteux. Ainsi, les laboratoires de microbiologie médicale peuvent proposer un résultat au clinicien afin qu’il choisisse les molécules adaptées, à la fois efficaces pour le traitement du patient et évitant le développement de bactéries résistantes.
Dans les pays en voie de développement, l’identification des résistances aux antibiotiques s’avère bien plus difficile comme expérimenté par MSF lors de la mise en place de laboratoire de bactériologie dans 5 pays à ressources limitées.
C’est à partir de ce constat dressé par Nada Malou référente Microbiologie MSF après plusieurs années sur le terrain, qu’Amin Madoui, chercheur CEA au laboratoire Génomique Métabolique du Genoscope (CEA/CNRS/Université d’Évry, site de Genopole), a proposé une solution d’application mobile :
« Il fallait créer une application gratuite et facile d’utilisation et développer de nouveaux algorithmes pour traiter efficacement l’image d’un antibiogramme sur un smartphone ».
La Fondation MSF a vu en ce projet une opportunité de créer une solution technologique innovante à une problématique vécue et en 2018 initie ce projet collaboratif entre une équipe de scientifiques du laboratoire Génomique Métabolique du Genoscope (CEA/CNRS/Université d’Évry), du Laboratoire de mathématiques et modélisation d’Evry (CNRS/Université d’Évry, site de Genopole), du service de bactériologie de l’hôpital Henri Mondor (APHP, Créteil) et MSF dans le but de développer cet outil en open source, destinée aux professionnels de santé à l’échelle mondiale, capable de réaliser l’analyse et l’interprétation des antibiogrammes.
En 2019, le projet décroche une bourse au concours « Google AI Impact Challenge », sur des Intelligences Artificielles (IA) à fort impact sociétal. Elle apporte des moyens humains et permet de faire des essais de deep learning pour améliorer les performances de l’application en matière de reconnaissance d’écriture (l’algorithme reconnaît tous les noms d’antibiotiques).
L’application créée fonctionne sans connexion internet, point essentiel pour une utilisation dans des pays à faibles ressources. Elle prend des photos de l’antibiogramme avec l’appareil photo du téléphone, et guide l’utilisateur durant l’analyse. Il peut interagir à tout moment avec l’interface de l’application pour vérifier et éventuellement corriger les mesures automatiques si nécessaire.
Pour ce faire, elle combine des algorithmes originaux, utilisant l’apprentissage automatique et le traitement d’image. Un système expert extrêmement performant mis à disposition par la société i2a valide la cohérence des données et fournit des résultats interprétés. La procédure de mesure est entièrement automatique et atteint un très haut niveau de fiabilité avec 98% de concordance avec la mesure manuelle aujourd’hui la plus sûre.
Aujourd’hui l’application mobile a l’ambition de s’adapter aux environnements à ressources limitées où MSF travaille. Elle permettrait d’apporter une évaluation de la sensibilité aux antibiotiques de qualité pour tous les patients dans le monde, et pourrait participer à l’effort mondial de surveillance de l’antibiorésistance.
En 2021, MSF est en cours d’évaluation des performances cliniques de cette application dans 3 pays différents afin de la déployer dans ses laboratoires d’ici la fin 2021. L’application sera ensuite mise à disposition de tous les laboratoires des pays à ressources limitées d’ici 2022.
À quelques mois de la fin des évaluations et du début de la phase de déploiement, MSF appelle tous les partenaires impliqués dans la lutte contre l’antibiorésistance à collaborer afin de mettre à disposition cette application au plus grand nombre de laboratoires dans les pays à ressources limitées.