Des chercheurs québécois ont exploité l’intelligence artificielle et plus précisément le deep learning pour mieux comprendre le régime alimentaire du Fou de Bassan, un oiseau de mer indigène à l’Atlantique nord. Ils ont connecté une caméra miniature, un GPS et un enregistreur de plongée sur certains des animaux du parc national de l’Île-Bonaventure-et-de-Rocher-Bercet. Ces trois outils leur ont permis d’obtenir des informations précises sur les animaux marins.
Un projet pour mieux comprendre le comportement marin et le régime alimentaire des fous de Bassan
Comment accélérer le repérage et l’identification des poissons qui apparaissent sur les quantités astronomiques d’images vidéo captées par les caméras fixées sur des Fous de Bassan ? C’est la problématique centrale du projet de recherche de David Pelletier, chercheur et enseignant au Cégep de Rimouski, Pauline Martigny, doctorante au sein du même Cégep, Magella Guillemette, chercheur à l’Université du Québec à Rimouski et Olivier Leclerc, informaticien au Centre de développement et de recherche en intelligence numérique (CDRIN) de Matane.
Leur projet s’intitule “Fou numérique” et a pour objectif de capturer des Fous de Bassan, le plus gros oiseau de mer d’Europe, puis de fixer sur ces animaux, une caméra miniature, un GPS ainsi qu’un consignateur de plongée. L’ensemble de ces équipements pèsent au maximum 75 grammes. Chacun a une tâche à réaliser :
- Le GPS est posé sur la queue de l’oiseau. Il enregistre sa position toutes les dix minutes pendant deux semaines afin de savoir s’il est en vol, s’il se repose ou s’il pêche.
- L’enregistreur ou consignateur de plongée est attaché à la bague métallique numérotée qui est attachée autour de la patte de l’animal. L’appareil mesure plusieurs fois par seconde les variations de pressions hydrostatiques et la température de l’eau avec pour objectif de mieux comprendre la niche écologique de l’oiseau.
- La caméra est fixée sur le bas du dos du fou de Bassan. Créée sur mesure pour le projet, la caméra ne s’active et enregistre des images que lorsque l’oiseau est dans l’eau ou que la caméra est mouillée, ce qui évite les enregistrements inutiles et maximise la capacité de la batterie ainsi que le stockage d’enregistrement.
Après avoir installé ces appareils, les chercheurs relâchent les oiseaux, les laissent en captivité pendant 24 heures puis les recapturent pour leur retirer les appareils qui seront ensuite placés sur d’autres individus. Grâce à cette méthode, les chercheurs espèrent suivre une soixantaine de fous de Bassan avec leurs cinq caméras. Avec huit heures d’enregistrements par caméra et soixante oiseaux, on obtient 480 heures de films potentiels à analyser. Une énorme quantité de vidéos qu’il faudra bien analyser : c’est là que l’intelligence artificielle rentre en jeu.
Le rôle de l’intelligence artificielle dans ce projet
En collaborant avec Olivier Leclerc, les chercheurs ont pu mettre au point un réseau de neurones artificiels capable de reconnaître cinq espèces de poissons que consomment les fous de Bassan : le maquereau, le hareng, le capelan, le lançon et le sébaste. Ce réseau de neurones a d’abord dû être entrainé pour permettre à l’ordinateur de reconnaître des poissons sur des images. Cet apprentissage a été fait en présentant à l’algorithme des milliers d’images d’abord étiquetées par un expert, qui aura au préalable indiqué les éléments correspondant au poisson à reconnaître et l’espèce à laquelle il appartient.
Isabelle Cayer, directrice générale du CDRIN, donne plus de précisions sur le fonctionnement du modèle de deep learning :
“La personne qui annote doit être un expert qui sait reconnaître les caractéristiques distinctives des espèces. […] La machine doit apprendre, par exemple, que la nageoire d’une espèce est plus pointue que celle d’une autre. Par exemple, la machine découvrira mathématiquement que le maquereau dont le dos est rayé de noir et de bleu présente des patterns alternatifs de noir et de bleu : l’algorithme se crée des règles d’analyses comme celle-là, qu’il appliquera ensuite dans les autres photos.”
Pour récupérer toutes les données nécessaires à l’entrainement du réseau neuronal, David Pelletier a installé des caméras dans des aquariums du musée Exploramer de Sainte-Anne-des-Monts, il a obtenu des datasets sur le sébaste dans les bassins de l’Institut Maurice-Lamontagne et des photos de maquereaux auprès de pêcheurs sur les quais. Il précise que son réseau est précis huit fois sur dix à l’heure actuelle et que la tâche pour lui n’est pas facile, car les poissons se déplacent rapidement et que lorsque l’oiseau plonge, il crée du bouillon, une multitude de petites bulles d’air que l’outil peut interpréter comme des poissons.
Grâce à ces trois appareils et à l’intelligence artificielle pour analyser l’ensemble des données recueillies, l’équipe de recherche espère améliorer son modèle pour combler certains retards dans l’étude de poissons moins bien connus.