Du 14 au 20 mars dernier a eu lieu « La Semaine du Cerveau », un évènement coordonné par la Société des Neurosciences sous le patronage de Mme Frédérique Vidal, Ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. C’est dans ce cadre que le film documentaire de Jean-Stéphane Bron « Cinq Nouvelles du Cerveau » a été présenté le 14 mars à Montpellier.
Né à Lausanne en 1969, Jean-Stéphane Bron est diplômé de l’École cantonale d’art de Lausanne (ECAL). En 1997, il réalise Connu de nos services, puis en 1999 La bonne conduite, nominé au Prix Europa du meilleur documentaire TV, mais encore Mais im Bundeshuus / Le génie helvétique, prix du cinéma suisse en 2004. Ses films documentaires ont été distingués en Europe et aux États-Unis, notamment par le prix Original vision décerné par le New York Time.
Son quatrième long-métrage, Cleveland contre Wall Street, sur la crise des subprimes, est présenté au Festival de Cannes 2010, dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs. L’expérience Blocher, en 2013, consacré au leader national-populiste Christoph Blocher, déclenche une vive polémique. Sorti en 2017, l’Opéra racontait de l’intérieur le fonctionnement de l’institution lyrique et de danse parisienne.
Cinq nouvelles du cerveau
Le point de départ de Cinq nouvelles du Cerveau, sorti en salle le 16 mars dernier, est une discussion de Jean-Stéphane Bron avec Alexandre Poujet, professeur en neurosciences computationnelles à l’Université de Genève, sur l’avenir du cerveau biologique.
Jean-Stéphane Bron y explore les frontières entre l’intelligence humaine et l’IA, la possibilité de répliquer le cerveau humain, d’en reproduire les émotions avec comme fil rouge la conscience. Le cerveau artificiel sera-t-il supérieur au cerveau humain ? L’intelligence est-elle le propre de l’homme ?
Lorsqu’Alexandre Poujet a parlé de son fils, étudiant en IA à Oxford, au cinéaste, ce dernier a décidé d’aborder la science par le dialogue et le questionnement ce qui a été la matrice de ces 5 nouvelles.
Cinq chemins de pensée
Le film débute par un dialogue entre Alexandre Pouget, convaincu que l’on pourra répliquer l’intelligence et la conscience sur des systèmes artificiels, et son fils Hadrien, jeune chercheur en IA à Oxford, qui craint que l’on ne maîtrise plus l’évolution de l’IA. Le professeur Pouget estime que le recours aux machines pour développer l’humain fait partie de l’évolution de l’homme, appelé à devenir autre chose :
« L’humanité est vouée à disparaître. Elle sera dépassée et remplacée par les machines. C’est inéluctable. »
À Seattle, Christof Koch, neuroscientifique américain, chercheur à l’Allen Institute for Brain Science, laboratoire privé du co-fondateur de Microsoft Paul Allen, tente de percer le mystère de la conscience, alors que son chien est sur le point de mourir. Ses recherches portent plus particulièrement sur le claustrum, une couche de matière grise du cerveau, qui coordonnerait toutes nos sensations et serait le centre de notre conscience.
Entre Munich et Venise, grâce à des interfaces cerveau-machine, Niels Birbaumer entre en contact avec la conscience de patients atteints du locked-in syndrom (syndrome d’enfermement, état neurologique où le patient voit, entend, comprend mais ne peut ni parler ni bouger). A l’aide d’électrodes placés sur le crâne et d’un programme de reconnaissance de lettres, le professeur du Wyss Center for Bio and Neuroengineering (Campus Biotech de Genève) est parvenu à communiquer avec ces patients. Il travaille maintenant à perfectionner ces interfaces pour qu’elles permettent de communiquer plus rapidement.
À Genève, David Rudrauf, un jeune chercheur qui va devenir père, rêve d’insuffler la vie à des machines en développant une conscience artificielle qui leur permettrait d’explorer de nouvelles choses de façon autonome. Le professeur Rudrauf incarne une position transhumaniste : il estime que la race humaine est condamnée à disparaître. Par conséquent, il faut « semer une graine », laisser quelque chose de cette humanité, pour qu’elle nous survive, soit sous forme de robots intelligents et indépendants de nous.
Toujours en Suisse, Aude Billard, qui travaille sur les interactions hommes-robots et sur l’apprentissage des robots, tente de répliquer la main-humaine et, pour cela, étudie la coordination des mains des bijoutiers-horlogers. Elle déclare que :
« Si les machines peuvent faire le travail des humains, c’est principalement parce qu’on traite les gens comme des machines. On a donné à faire aux hommes un travail qui n’est pas digne d’un être humain, habilité à effectuer des tâches complexes et qui déteste la routine. On n’utilise pas le cerveau humain pour ce à quoi il est bon. »
A la sortie du film, Jean-Stéphane Bron a déclaré :
« Je me demandais comment convoquer l’univers de la SF à travers des histoires bien réelles qui partent des laboratoires. Aussi, j’aime partir d’une impossibilité à faire des images, pour que le film se crée dans la tête du spectateur. Le cerveau, son fonctionnement, c’est infilmable. Je suis parti de la matière, de la chair, pour arriver à des histoires qui convoquent un récit fantasmatique. Car on est tous habités par des scénarios du futur, que ce soit le rapport aux machines, le destin de l’être humain, l’hybridation… Ces cinq histoires convoquent ces images intimes que nous portons, et j’ai essayé de doser le niveau d’angoisse ou d’espoir que chacune peut susciter. »
Le film se termine sur l’image d’une main de la grotte Chauvet. Jean-Stéphane Bron ajoute :
« Un philosophe a dit que ces peintures marquaient le début de la philosophie. Qu’à travers elles, pour la première fois, l’humanité se projetait dans une forme. C’est l’aube de l’art et de la pensée, d’une tentative de fixer le mouvement, mais aussi de l’évoquer. »