L’Institut de recherche de Nazca, affilié à la Faculté des sciences humaines de l’Université de Yamagata, a été fondé en octobre 2012 pour promouvoir la recherche sur les célèbres géoglyphes de Nazca, au Pérou. Ce centre de recherche multidisciplinaire a pour mission de découvrir, comprendre et préserver les mystérieux géoglyphes de la région, qui sont classés au patrimoine mondial de l’UNESCO. La semaine dernière, il a présenté les résultats de ses travaux avec IBM Research, lors d’une conférence de presse à l’ambassade du Japon à Lima. Le modèle de deep learning développé par ce dernier lui a permis de découvrir 303 nouveaux géoglyphes.
Les géoglyphes de Nasca, de vastes figures tracées dans le sol du désert de Nasca, dans le sud du Pérou, sont l’une des plus grandes énigmes archéologiques du monde. Ces dessins, créés entre 500 avant J.-C. et 500 après J.-C., couvrent une superficie de près de 450 km² et comprennent des formes géométriques, des figures animales (comme des oiseaux, des singes, des araignées, des poissons, des baleines ou des camélidés),des plantes (fleur, algue, rhizome et arbre) et des outils (aiguille, métier à tisser, instrument de musique…) ainsi que des lignes droites qui s’étendent sur des kilomètres.
Situés sur un plateau désertique à environ 500 m au-dessus du niveau de la mer, ils ont été préservés parce qu’ils ont été construits dans une zone peu touchée par les inondations et impropre à l’agriculture. Leur première découverte date de 1927 et ils sont depuis le sujet de nombreuses recherches.
Diverses hypothèses ont été émises quant au but de leur construction :
- Calendrier et astronomie : Les lignes seraient alignées avec des événements astronomiques, comme le solstice ou les constellations. Cependant, cette idée a été critiquée pour son manque de fondement dans les traditions locales ;
- Géométrie : Les géoglyphes pourraient avoir un rôle lié à des concepts géométriques ;
- Agriculture et irrigation : Les lignes seraient associées à la gestion de l’eau et de l’irrigation ;
- Mouvement et communication : Les lignes pourraient être utilisées pour des activités comme la marche, la course ou la danse, voire des rituels de pèlerinage ;
- Expression artistique : Les géoglyphes pourraient être simplement une forme d’art.
L’idée prédominante est que les lignes faisaient partie d’un espace sacré associé à des pèlerinages ou des chemins vers des centres religieux comme Cahuachi, ou encore à des sources d’eau souterraines. Les géoglyphes figuratifs, souvent placés sur des pentes, auraient été conçus pour être visibles de loin.
L’Institut de recherche de Nazca
L’Institut de recherche de Nazca de l’Université de Yamagata a été créé à la suite d’un projet de recherche interdisciplinaire dirigé par le professeur Masato Sakai (anthropologie culturelle), lancé en 2004. Les premiers travaux de l’institut ont porté sur la compréhension de la distribution des géoglyphes dans et autour du plateau de Nazca. Les chercheurs ont utilisé des images de haute précision prises à partir de satellites, de petits avions et de drones, et ont mené des relevés réguliers sur le terrain pour étudier quels types de géoglyphes étaient distribués, où et combien d’entre eux, et quel type d’activités humaines s’y déroulaient.
Désormais seule équipe de recherche au monde autorisée à mener des recherches sur place, ils avaient découvert 318 des 430 géoglyphes figuratifs identifiés avant de s’associer à IBM Research et de découvrir 303 nouveaux géoglyphes figuratifs au cours de la saison 2022/23 de travail sur le terrain.
Une découverte accélérée par l’IA
L’étude, dont les résultats ont été acceptés pour publication dans Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), souligne l’impact de l’IA dans le domaine de l’archéologie. En seulement six mois, les chercheurs ont identifié ces géoglyphes supplémentaires, un exploit rendu possible par une analyse géospatiale de grande ampleur couplée à l’utilisation des modèles d’IA développés par IBM.
L’algorithme de deep learning a été capable de détecter 1309 zones à forte probabilité de contenir des géoglyphes, réduisant de manière spectaculaire le temps nécessaire pour effectuer des enquêtes de terrain. Selon l’équipe de recherche, l’IA a permis une multiplication par 16 du taux de découverte, un chiffre impressionnant dans un domaine où le travail manuel est traditionnellement lent et fastidieux.
Les nouveaux géoglyphes : un aperçu inédit des pratiques culturelles
Les nouveaux géoglyphes découverts se divisent en deux catégories principales : les géoglyphes de type ligne et les géoglyphes en relief, ces derniers étant les plus nombreux. Ces distinctions offrent une meilleure compréhension de l’organisation sociale et des pratiques culturelles des Nasca, civilisation qui a créé ces œuvres il y a environ 2 000 ans.
Les géoglyphes de type ligne, souvent gigantesques, représentent des animaux sauvages et sont associés à un réseau complexe de figures linéaires et trapézoïdales. Ces géoglyphes étaient, selon les chercheurs, probablement utilisés dans des contextes rituels communautaires, peut-être lors de cérémonies collectives visant à honorer les dieux ou marquer des événements importants.
En revanche, les géoglyphes en relief, plus petits et souvent invisibles de loin, illustrent des motifs liés à la vie quotidienne, notamment des animaux domestiqués, des figures humanoïdes, et des têtes décapitées, signe distinctif des rituels de la culture Nasca. Ces figures étaient situées près des sentiers sinueux et semblent avoir été conçues pour être vues par de petits groupes ou des individus, fonctionnant peut-être comme une forme primitive de communication visuelle ou d’affichage.
Un avenir prometteur pour l’archéologie grâce à l’IA
Ce projet marque une nouvelle ère pour la recherche archéologique. Jusqu’à présent, l’arpentage de la pampa de Nasca, qui s’étend sur plus de 400 kilomètres carrés, nécessitait des décennies d’enquêtes minutieuses. Cependant, avec les nouvelles technologies de télédétection par satellites, drones, et maintenant l’intelligence artificielle, les chercheurs peuvent cartographier ces vastes régions plus rapidement et avec une précision accrue.
L’étude révèle que le potentiel de l’IA dans la découverte de sites archéologiques est loin d’être épuisé. L’algorithme d’IBM a permis de réduire considérablement la quantité de données à examiner manuellement, accélérant ainsi la cadence des découvertes. Près de 1 000 autres géoglyphes probables ont été identifiés par le modèle d’IA et attendent encore des vérifications sur le terrain.
Perspectives d’avenir
Au-delà de la découverte de ces 303 nouveaux géoglyphes, les chercheurs prévoient de continuer à explorer les 968 zones restantes identifiées comme prioritaires par l’IA. Selon leurs estimations, le nombre total de géoglyphes dans la région pourrait dépasser les 1 000, ce qui révélerait encore davantage sur la culture Nasca et ses pratiques.
D’autres innovations technologiques, comme l’utilisation des données LIDAR, leur permettront de recréer l’expérience visuelle des habitants anciens qui parcouraient les sentiers de la pampa, offrant ainsi de nouvelles perspectives sur la manière dont ces géoglyphes étaient perçus et utilisés dans le cadre des pratiques sociales et religieuses.
Enfin, ils travailleront en collaboration avec le ministère de la Culture péruvien pour protéger ces précieux vestiges contre les dommages environnementaux, notamment les inondations causées par les fortes pluies dans les montagnes voisines.
Références de l’article :
“L’enquête de Nazca accélérée par l’IA double presque le nombre de géoglyphes figuratifs connus et met en lumière leur objectif”
PNAS, https://doi.org/10.1073/pnas.240765212
Auteurs : Masato Sakai, Akihisa Sakurai, Siyuan Lu, Marcus Freitag