L’Allen Institute for Artificial Intelligence (Ai2) a été créé en 2014 par Paul Allen, co-fondateur de Microsoft. Il se concentre exclusivement sur la recherche et l’ingénierie dans le domaine de l’intelligence artificielle. Dirigé par le docteur Oren Etzioni, il fait figure de référence dans le milieu et accueille plus de 70 chercheurs et ingénieurs du monde entier.
L’Ai2 a également lancé un incubateur qui, fort de ses deux premiers succès, souhaite désormais accueillir plusieurs autres start-up. Les entreprises participantes reçoivent un financement mais surtout 6 mois d’incubation au sein de l’institut à Seattle.
L’équipe compte notamment sur Jacob Colker, entrepreneur-in-residence, qui a accepté de nous accorder une entrevue pour parler de cet incubateur atypique spécialisé dans l’intelligence artificielle.
Actu IA: Vous avez une longue carrière dans l’entreprenariat et le machine learning, vous avez notamment lancé Sparked.com avant même que ce domaine soit aussi connu. Vous êtes désormais entrepreneur-in-residence au sein de l’incubateur de l’AI2. Comment définiriez-vous votre poste actuel ?
Jacob Colker: Rejoindre le Allen Institute for Artificial Intelligence était pour moi une formidable opportunité. Nous sommes l’une des seules organisations à but non lucratif au monde spécialisées dans l’IA. L’AI2 est d’une équipe de spécialistes qui compte par exemple plus de 70 doctorants et post-doctorants qui font avancer le domaine.
À l’AI2, ce qui nous intéresse c’est de participer activement au développement de l’intelligence artificielle pour le bien commun. Il y a différentes façons d’avoir un vrai impact : publier des recherches, rendre disponible gratuitement un produit mais aussi créer une entreprise.
Si vous repensez à comment l’Université de Stanford a aidé à lancer Google, vous avez une très bonne analogie avec la façon dont nous voyons notre travail ici au Ai2. Nous voulons incuber de grandes idées portées par de grands entrepreneurs et les aider à commercialiser leurs technologies et compétences.
Mon rôle spécifique est d’aider à mettre en avant cet aspect d’AI2. Mon co-partenaire et moi avons pour mission de piloter l’incubateur. Nous sommes des facilitateurs, des recruteurs, des coachs en technique, en business, entre autres.
Actu IA: Après les succès de KITT.AI et de XNOR.AI, l’AI2 a annoncé vouloir passer à une nouvelle phase concernant son incubateur. Combien et quel genre de start-up souhaitez vous accueillir ?
Jacob Colker: Ce n’est pas vraiment une question de chiffres. Je pense que cette année nous allons inclure une ou deux nouvelles start-ups. Pour l’an prochain, nous souhaiterions en avoir entre 3 et 10 mais nous allons probablement nous décider pour 5. C’est en tout cas ce que j’espère pour 2018.
Nous voulons délibérément que cela reste un faible volume, nous nous efforçons de limiter le nombre de start-up accueillies. Nous voulons que l’incubateur reste intime pour avoir réellement un impact sur chacune des entreprises avec qui nous travaillons. Nous ne voulons pas juste les entasser dans une grande pièce et les laisser se débrouiller sans les aider.
Notre objectif, tel que défini dans notre charte, est vraiment d’incuber. Nous devons donc être un partenaire utile pour chacune de ces start-up. Limiter le nombre de start-up dans l’incubateur nous permet de pouvoir mieux les accompagner.
Nous recherchons des start-up avec des idées novatrices, dans l’intelligence artificielle, peu importe leur situation géographique. Nous avons reçu énormément de candidatures depuis le lancement de l’incubateur et avons déjà relevé certaines très bonnes idées mais nous ne pouvons pas donner de chiffres ou de noms actuellement.
Actu IA: Il y a de plus en plus d’incubateurs qui ouvrent un peu partout dans le monde. Quel est selon vous ce qui différencie l’AI2 ?
Jacob Colker: Je crois qu’il y a beaucoup d’excellents incubateurs dans le monde. Mais il n’y a qu’un seul incubateur au monde qui ne signe pas seulement un chèque d’un quart de millions de dollars mais qui a également 70 chercheurs et doctorants en intelligence artificielle sur place pour les aider à résoudre leurs problèmes et des entrepreneurs-in-residence comme moi dans l’équipe pour les épauler sur le plan marketing et business.
Alors oui, nous pouvons signer un chèque, comme tous les autres incubateurs ou VC, mais c’est l’accompagnement par les compétences qui nous différencie vraiment. Après, cela dépend des entrepreneurs. C’est à eux de choisir ce qui leur convient le plus. S’ils veulent être l’une des 50-60 start-up dans une pièce, ils doivent savoir que les personnes gérant l’incubateur n’auront qu’un temps extrêmement limité pour eux. Si c’est ce qui vous convient, c’est une option.
Pour la plupart des entreprises cela peut être une très bonne idée. Mais si vous travaillez sur de l’intelligence artificielle et que vous avez un vrai produit IA, ce serait irresponsable selon moi de ne pas considérer postuler pour l’incubateur de l’AI2. Encore une fois du fait des talents présents au sein du Allen Institut for Artificial Intelligence mais également parce que c’est plus intime et que nous offrons plus de capital que les incubateurs normaux.
Actu IA: Quels seraient vos conseils aux entrepreneurs qui souhaitent créer une start-up en intelligence artificielle ?
Jacob Colker: Je dirais que cela dépend de quel genre d’entrepreneur vous êtes et des ressources sur lesquelles vous devez travailler. Il y a selon moi deux groupes d’entrepreneurs dans l’univers des start-up. Il y a ceux qui développent des produits spécifiques: l’intelligence artificielle pour ceci ou pour cela. Des produits différents qui ciblent une industrie ou une façon dont les gens interagissent avec le monde.
Le second groupe serait composé d’entrepreneurs cherchant à créer des outils de backend visant à améliorer les technologies IA, qui n’ont donc pas nécessairement, ou facilement, d’application commerciale.
Je pense que ni l’un ni l’autre n’ont tort en matière de création de produit en intelligence artificielle. Cela dépend vraiment des ressources à votre disposition. Pour le premier groupe, le laps de temps entre le moment où vous commencez à coder votre produit et celui où vous commencez à gagner de l’argent, est naturellement plus court car vous avez un client ciblé en tête. Vous pouvez donc établir une stratégie claire, construire un business model autour de votre produit et déterminer quelles techniques marketing utiliser. Vous pourrez peut être dans ce cas lever moins et plus rapidement car vous savez que vous pourrez dégager des revenus plus rapidement.
Si vous avez la possibilité de prendre votre temps, avez suffisamment de ressources pour couvrir les frais et ou que votre objectif est plus une acquire-hire (acquisition par un entreprise d’une autre entreprise dans le but d’intégrer les compétences de ses salariés) que de lancer un produit répondant à une demande du marché, il peut être préférable de se concentrer sur l’ingénierie pendant 3 ou 4 ans plutôt que d’avoir en tête la commercialisation du produit. De nombreuses sociétés souhaitent acquérir des sociétés constituées d’équipes avec un haut niveau de compétences.
Il est ainsi fondamental de réellement se demander ce que l’on souhaite faire et quelles sont nos ressources pour y arriver et couvrir les salaires et autres frais. Je ne pense pas qu’il y ait un choix meilleur qu’un autre. Cela dépend encore une fois de quel type d’entrepreneur vous êtes.
Actu IA: L’intelligence artificielle est actuellement un sujet à la mode, pensez-vous qu’il s’agit d’une bulle ‘intelligence artificielle’ telle que la bulle internet des années 90 ?
Jacob Colker: Je ne sais pas si j’utiliserais le terme ‘bulle’ car il a une très forte connotation. Quand vous regardez les différentes vagues d’innovation, la façon dont l’électricité ou les chaînes de montage ont changé le monde, vous constatez qu’il y a quelques technologies qui se développent toutes les X générations et qui sont vraiment la base pour un grand nombre d’inventions.
Je pense que l’IA entre exactement dans cette définition. De nombreuses start-up du monde entier à la recherche de financement ajoutent les termes ‘intelligence artificielle’ à leur business plan parce que c’est justement ce que les investisseurs recherchent. On pourrait dire que ce n’est pas vraiment de l’IA au sens propre et, dans la majorité des cas ça n’en est probablement pas. Mais si on omet cette question, ils intègrent souvent quelques éléments d’intelligence artificielle dans leurs travaux. Donc ce n’est pas nécessairement faux de le mentionner, même si ce n’est pas de l’intelligence artificielle au sens propre. C’est un grand débat entre les puristes de savoir ce qui est ou non IA au final.
Je pense que la raison pour laquelle l’IA est aussi à la mode à l’heure actuelle c’est parce que les technologies ont évolué au point où elles sont vraiment utiles. On aurait jamais pu imaginer à quel point elles le deviendraient il y a quelques années. Au sein de l’AI2 nous considérons l’IA non pas comme un département au bout du couloir que toutes les entreprises technologiques vont avoir, mais comme un composant central de la plupart des produits, tout comme c’est le cas pour l’électricité.
On ne parle plus d’un grille-pain électrique aujourd’hui, on dit seulement grille-pain. Pareil avec les micro-ondes ou les ordinateurs. Pour moi l’intelligence artificielle va suivre le même chemin. Elle sera intégrée aux produits et cela deviendra tout à fait normal.
Actu IA: Gary Marcus publiait récemment dans le New York Times un article dénonçant le manque de synergie entre les recherches académiques et privées. Pensez-vous qu’il y a un réel fossé entre chercheurs privés et universitaires ?
Jacob Colker: Nous sommes encore un jeune incubateur et sommes encore en train d’apprendre et de chercher quelle est la meilleure approche. A l’heure actuelle, nous cherchons des entreprises développant des technologies que nous pensons être originales, uniques, qui apportent du positif à notre société et trouver un moyen d’utiliser nos recherches pour aider ces entrepreneurs à aller de l’avant.
Il y a quelque chose de très intéressant actuellement entre les talents IA et les entreprises qui cherchent à les embaucher. Des sociétés qui ont toujours été très protectrices en terme de propriété intellectuelle sont confrontées à des talents IA, principalement des professeurs et des post-doctorants, qui sont habitués à voir leurs recherches publiées. Le Wall Street Journal a récemment fait un article sur Apple à ce propos.
Apple rencontre en effet des difficultés à recruter des spécialistes en IA car l’entreprise a toujours été dans une culture du secret. La plupart des professeurs en IA ont ainsi des réticences à rejoindre des sociétés aussi protectrices car ils ont toujours eu la possibilité de publier leurs travaux et d’être crédités pour leurs recherches.
Cela va devenir très intéressant de voir comment les cultures d’entreprise vont affecter dans les recrutements à venir. Google a par exemple choisi une stratégie quasiment open source avec Android et ses plate-formes. Ils sont beaucoup plus transparents qu’Apple qui, historiquement, a toujours été très discrète, plus secrète que la CIA comme blaguait Tim Cook. La question du recrutement de talents est d’ores et déjà fondamentale et va l’être encore plus.
Ce sera donc très intéressant de voir comment les talents IA dont la grande majorité vient de la culture universitaire et des publications vont s’adapter à certaines cultures d’entreprise. Et comment les grandes entreprises comme Apple, Google, Facebook ou Microsoft essaient de les recruter en créant un écosystème spécifique et en mettant en place des conditions particulières pour qu’ils soient tentés de les rejoindre.
Vous pouvez postuler à l’incubateur de l’AI2 à partir du site dédié.