Pourquoi certains patients atteints de Covid-19 sont-ils asymptomatiques alors que d’autres développent des formes graves, notamment le SDRA (syndrome de détresse respiratoire aigüe) ? Des chercheurs et chercheuses de l’Inserm et de l’université de Strasbourg au sein de l’unité U1109 « immunologie et rhumatologie moléculaire », en collaboration avec les cliniciens‑chercheurs des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, se sont intéressés aux données biologiques et génomiques d’une cohorte ciblée de patients jeunes. Les patients hospitalisés en réanimation avec un SDRA ont été comparés aux patients Covid‑19 hospitalisés en secteur conventionnel. Ces études de cas ont permis l’identification d’une signature génique spécifique aux formes graves grâce à l’intelligence artificielle : le gène ADAM9. Les chercheurs français ont reçu l’appui d’experts de Genuity Science (Boston) et de l’université de Californie du Sud.
Les patients infectés par le Covid-19 n’ont pas du tout les mêmes symptômes. On peut considérer quatre réactions différentes : forme asymptomatique, syndrome grippal, difficultés respiratoires nécessitant ou non une hospitalisation et syndrome de détresse respiratoire aigüe (SDRA) qui demande une aide respiratoire en soins intensifs. C’est dans cette dernière catégorie que les patients sont le moins nombreux mais le taux de mortalité y est très élevé : 25 %.
On connaît l’impact de l’âge et des comorbidités (diabète, hypertension, maladie cardio-vasculaires, obésité, BPOC, maladie cardiaque) sur l’évolution de formes graves du covid-19 mais pourquoi des personnes jeunes et sans problème de santé vont-elles développer des complications respiratoires voire un SDRA, y a-t-il une explication moléculaire ou génétique ? De nombreuses études avaient été faites préalablement au niveau mondial mais toutes ne traitaient que d’un aspect de ce problème.
Les scientifiques de l’Inserm, de l’université de Strasbourg et les cliniciens-chercheurs du CHU de Strasbourg se sont intéressés à une cohorte de patients et de témoins avec des critères d’inclusions restrictifs bien définis et leur ont appliqué des analyses moléculaires à haute résolution. Les résultats de leurs recherches ont été publiées dans Science Translational Medecine.
Deux critères pour cette cohorte : des patients jeunes et sans comorbidité
L’étude a porté sur une cohorte de patients hospitalisés lors de la première vague de la pandémie (mars-avril 2020) au CHU de Strasbourg avant l’utilisation systématique de corticoïdes. Tous étaient soit sortis de l’hôpital soit décédés au moment de l’étude.
Sur les 72 personnes, 53 étaient des hommes. L’âge médian était de 40 ans (de 33 à 46 ans). Deux groupes ont été constitués. Un groupe critique composé de 47 patients en réanimation pour SDRA modéré à sévère, 45 nécessitant une ventilation mécanique invasive contrairement aux 2 autres. Les 25 patients “non critiques” du second groupe étaient soignés en chambre conventionnelle.
Un groupe de 22 patients négatifs au covid-19 a été étudié en parallèle. Le professeur Seiamak Bahram est PU-PH, directeur de l’Unité 1109 de l’Inserm, responsable de l’Institut thématique interdisciplinaire de médecine de précision de Strasbourg et chef de service d’immunologie biologique aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg. Il a déclaré :
“Nous avons fait le choix de nous pencher sur une cohorte de patients restreinte mais très bien définie, en excluant les facteurs confondants comme l’âge ou certaines pathologies, afin de pouvoir vraiment étudier les mécanismes moléculaires et génétiques directement associés aux formes graves, qui sont exclusivement liés à l’infection virale et non à d’autres facteurs de risque préexistants.”
Une stratégie globale d’analyses multi-omiques a été appliquée pour identifier les voies et le moteur du SDRA à partir d’échantillons de sang collectés lors de l’admission des malades à l’hôpital. Selon Seiamak Bahram, elle avait l’objectif suivant :
“Analyser l’ensemble des données génomiques, protéomiques, transcriptomiques (investigation de la totalité des ARN messagers) et autres données virologiques, immunologiques et sérologiques de ces patients. Cela leur a permis de confirmer que le SDRA est associé à un état inflammatoire très important et à un emballement du système immunitaire (la fameuse tempête cytokinique).”
Le rôle de l’intelligence artificielle
Toutes les données recueillies lors de cette étude n’auraient pu être traitées ni analysées sans le recours à l’intelligence artificielle. Grâce à une collaboration avec l’institut d’intelligence artificielle de l’entreprise biotechnologique Genuity Science de Boston, l’équipe a pu identifier un réseau de 600 gènes impliqués dans l’évolution vers les formes critiques de Covid-19, grâce à l’application croisée de plusieurs algorithmes d’intelligence artificielle (y compris un algorithme ayant tourné sur l’ordinateur quantique mis à disposition par l’Université de Caroline du Sud). L’auteur de l’étude a déclaré :
“Toujours dans le cadre de cette collaboration transatlantique, ces nombreuses données ont pu être modélisées et analysées avec l’aide de l’IA, permettant d’identifier plus précisément cinq gènes surexprimés chez ces patients. L’un d’entre eux, le gène ADAM9, est un « gène driver » particulièrement intéressant. En effet, de précédentes études ont montré que celui-ci interagit avec des protéines du SARS-CoV-2. Les résultats obtenus ici vont dans ce sens, suggérant qu’une surexpression d’ADAM9 conduirait (d’où le terme de « gène driver ») certains patients vers les formes graves de Covid-19 et le SDRA. ADAM9 a été identifié comme facteur de gravité du covid-19 et une cible thérapeutique candidate. Le fait de bloquer ADAM9 permet de réduire le taux de virus dans les cellules ainsi que sa réplication. Pour confirmer ces résultats, d’autres études devront être menées mais cette piste thérapeutique est d’autant plus intéressante que des essais cliniques en oncologie pour tester des anticorps monoclonaux qui inhibent justement ADAM9 sont en cours.”
Sources
Identification of driver genes for critical forms of COVID-19 in a deeply phenotyped young patient cohort, R. Carapito et al., Science Translational Medicine, octobre 2021- DOI: 10.1126/scitranslmed.abj7521