4 applications basées sur l’IA dans la conquête spatiale : De la navigation autonome à l’assistance des astronautes

Cet article a été par Jean Ababii. Passionné par le développement de l’intelligence artificielle et le secteur de l’aéronautique et du spatial, Jean Ababii est étudiant en dernière année d’ingénierie informatique à l’INSA Lyon. Après plusieurs stages autour de l’IA appliquée à la vision par ordinateur, il a rejoint Dassault Systèmes pour son projet de fin d’études en tant qu’ingénieur IA et Big Data afin de travailler principalement sur des problématiques de NLP.

“Touchdown confirmed ! Perseverance is safely on the surface of Mars”

Ces quelques mots provenant du Jet Propulsion Laboratory de la NASA marquent le soulagement des milliers d’ingénieurs travaillant sur ce projet depuis des années. Le 18 février 2021, au terme d’un voyage de sept mois, le robot Perseverance se pose sur la planète rouge.

Son atterrissage est totalement automatisé puisque, se situant à 200 millions de kilomètres de la Terre, une latence de plus de dix minutes est observée entre l’envoi et la réception d’un message.

Comment peut-on automatiser un processus aussi complexe ? L’intelligence artificielle est une des nouvelles solutions permettant de répondre à ce défi technologique, et son utilisation est en plein essor dans le milieu spatial. En effet, le marché de la robotique et de l’IA dans l’espace, évalué à 2 milliards de dollars en 2018, est estimé à 3,5 milliards en 2025.

De la navigation autonome à l’assistance des astronautes, voici une sélection d’applications de l’IA dans la conquête spatiale.


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1. Navigation autonome

Un des premiers éléments venant à l’esprit lorsqu’on évoque l’IA pour un robot pourrait être sa capacité à se déplacer et à prendre des décisions de manière autonome. Pour un rover comme Perseverance, une automatisation des déplacements permet en effet un énorme gain de temps : en déterminant la meilleure route pour éviter les obstacles, l’opérateur humain n’est sollicité qu’en cas de besoin, sans parler des étapes où cette intervention est impossible, comme lors de l’atterrissage.

Pour comprendre comment l’IA peut aider lors de la navigation sur un objet céleste lointain, il convient de rappeler comment cette dernière est rendue possible sur Terre. Les systèmes terrestres actuels reposent en grande partie sur le GPS, système mondial de positionnement. Or, le GPS fonctionne grâce au calcul de la distance séparant le récepteur de plusieurs satellites. Malheureusement, des satellites de ce type n’existent qu’autour de notre planète. De plus, pour compliquer les choses, Mars ou encore la Lune ne possèdent pas de champ magnétique global permettant le fonctionnement des boussoles traditionnelles.

Une des solutions imaginées pour contourner ces difficultés est de se servir des images et topographies de ces astres, enregistrées lors de missions précédentes. C’est alors que l’IA entre en jeu, en permettant la comparaison des données existantes avec celles pouvant être directement acquises. En effet, des techniques d’IA principalement basées sur l’apprentissage profond (deep learning) sont extrêmement performantes dans le domaine du traitement d’image. Le système Terrain Relative Navigation de Perseverance en est un exemple : il permet de se repérer sur Mars en comparant les caractéristiques visibles de la surface martienne avec des données pré-enregistrées. Grâce à ce repérage précis, Perseverance a atterri à seulement un km environ du centre de la zone visée ! Toujours au cours de cette mission, Ingenuity a effectué son premier vol sur la planète rouge.

Ce drone devient donc le premier objet qui vole sur une planète différente de la Terre. L’automatisation de ses déplacements est d’autant plus critique qu’une fois en plein vol, ce dernier ne peut tout simplement pas s’arrêter pour attendre les instructions terriennes. L’IA permet donc d’analyser son environnement pour prendre en compte les vents par exemple, et suivre au plus près le plan de vol prévu en amont sur Terre. Cependant, nul besoin de se trouver sur une autre planète pour rencontrer des problèmes liés à la navigation.

En effet, en 2019, l’Agence spatiale européenne (ESA) a estimé à près d’un million le nombre d’objets mesurant plus d’un cm orbitant autour de la Terre. Ces nombreux débris spatiaux peuvent causer de gros dégâts à tous les appareils opérationnels, la Station spatiale internationale (ISS) ou des satellites par exemple. Bien qu’une attention particulière soit actuellement portée à cette « pollution » de l’espace, le nombre de lancements augmentera fortement dans les prochaines années. Pour prévenir de potentielles collisions, des techniques à base d’apprentissage profond se sont révélées particulièrement efficaces. En effet, des réseaux de neurones ont permis d’améliorer grandement la précision lors de la détection des débris spatiaux, rendant ainsi possible une identification précise à plusieurs milliers de kilomètres.

2. Collecter et transmettre l’information

Le recours à l’IA apporte une réelle efficacité dans la gestion des données échangées. En effet, que ce soit sur Terre avec l’essor du big data, ou dans l’espace, la quantité de données stockées croît d’année en année, aussi bien grâce à un nombre croissant de capteurs qu’à une baisse du coût de stockage. Ces données proviennent en grand nombre de différentes sources comme des satellites, des télescopes ou des observatoires.

D’après l’ESA, un satellite moderne produit quotidiennement plus de 150 TB (TeraBytes) de données. Leur analyse et transmission exigent beaucoup de travail, et donc de temps, c’est pourquoi le recours à l’IA permet une efficacité démultipliée. Par exemple, la transmission de l’ensemble des données est parfois impossible physiquement, ce qui impose de choisir les plus « intéressantes » pour les chercheurs. Des systèmes d’IA embarqués au sein des satellites ou robots permettent un pré-traitement des données, pour n’en transmettre qu’une partie vers la Terre. Le système AEGIS (Autonomous Exploration for Gathering Increased Science) est par exemple présent sur Perseverance, ou encore sur son prédécesseur Curiosity. AEGIS permet au robot d’analyser différentes roches et transmettre uniquement des données présentant le plus d’intérêt scientifique, ce qui permet de maximiser leur qualité.

D’autre part, la distance importante pouvant séparer les objets émetteurs présents dans l’espace des récepteurs sur Terre entraîne de réelles complications au niveau du débit et de la qualité de la transmission. En effet, les interférences sont un problème courant dans l’espace, dues notamment aux radiations électromagnétiques. Là encore, des techniques à base d’IA sont explorées par la NASA pour améliorer la qualité des réseaux de communications. Certaines techniques d’IA permettent de maximiser l’utilisation des bandes de communications disponibles et ainsi d’améliorer l’efficacité et la fiabilité des transmissions. Cependant, avant de pouvoir déployer de telles technologies, des tests doivent être conduits et sont déjà prévus à bord de l’ISS.

Depuis la Terre également, l’IA permet une meilleure collecte des données, comme on peut le constater avec le Cherenkov Telescope Array (CTA). Ce réseau de plus de 100 télescopes de nouvelle génération situés dans différents endroits du globe terrestre repose sur des techniques de deep learning afin d’ana- lyser rapidement un nombre colossal de données. Les réseaux de neurones utilisés sont entraînés sur le supercalculateur Jean Zay situé sur le plateau de Saclay, en région parisienne, et permettront à terme d’interpréter les évènements en temps réel pour émettre des alertes et faire converger plus rapidement les télescopes vers les sources intéressantes.

3. Traitement des données

Une fois les données collectées et transmises, celles-ci vont faire l’objet de nombreux traitements. Un grand nombre de ces données récupérées sont des images, mais pas uniquement. Pour le traitement d’image, l’IA est un outil formidable, principalement depuis la découverte des réseaux de neurones dits convolutionnels (CNN : Convolutional Neural Networks) faisant partie de la branche de l’apprentissage profond. Il n’est donc pas étonnant que les scientifiques exploitent de plus en plus ces méthodes dans la recherche spatiale.

Une des tâches sur lesquelles ces réseaux se sont montrés redoutablement efficaces est la classification d’objets selon plusieurs catégories, après avoir été correctement entraînés sur des milliers d’images. En effet, le nombre gigantesque d’objets célestes composant notre univers rend impossible la classification manuelle de chacun d’entre eux, et c’est dans ce but qu’est utilisée l’IA aujourd’hui pour déterminer par exemple si tel astre est une étoile, une galaxie ou une planète. Cette classification n’est pas toujours simple à cause du bruit causé par les instruments ou les effets astrophysiques. C’est ainsi que des chercheurs de Google ont développé un réseau de neurones convolutionnels nommé AstroNet afin de traiter les images issues du télescope Kepler de la NASA.

Cette IA a permis de réduire le bruit, et ainsi d’identifier deux nouvelles exoplanètes. Ces différentes avancées permises par l’IA ont conduit à la mise en place du Frontier Development Lab (FDL) par la NASA, dans le but de réunir des innovateurs et travailler sur l’application de l’IA dans l’espace. L’ensemble des techniques qui y sont développées sont publiques et certaines sont déjà utilisées pour prédire les radiations solaires ou identifier la composition de l’atmosphère de certaines exoplanètes. Un des cas d’utilisation de l’IA au FDL est la modélisation d’astéroïdes. Lors de cette tâche, une très large panoplie d’outils issus de l’IA se sont montrés efficaces. Ainsi, des modèles de deep learning tels que des auto-encodeurs ou des réseaux antagonistes génératifs (GAN) ont été utilisés pour la modélisation même des astéroïdes, alors que des techniques comme le clustering ont servi à un pré-traitement des données récupérées. Lors de ce cas d’étude, l’IA a permis une économie importante de temps en réalisant une modélisation d’astéroïde en moins d’une semaine, alors que plusieurs mois étaient nécessaires auparavant.

4. Les assistants d’astronautes

L’utilisation de l’IA pour le traitement d’image a beaucoup été évoquée, cependant elle est également présente dans bien d’autres domaines d’applications relevant de l’exploration spatiale. En effet, les progrès récents dans le traitement du langage naturel (NLP : Natural Language Processing) ont trouvé de nombreux cas d’utilisation dans notre vie quotidienne, mais aussi dans celle des astronautes. Depuis 2018, CIMON (Crew Interactive MObile companioN) est déployé à bord de la Station spatiale internationale. Cet assistant de la taille d’un ballon de basket, développé entre autres par IBM et Airbus, se déplace en autonomie grâce à des hélices. Son objectif est d’assister les astronautes au cours de leurs tâches en leur proposant des informations lorsque c’est nécessaire, à travers des tutoriels par exemple, mais aussi d’interagir directement en répondant à leurs questions.

CIMON repose sur les dernières prouesses techniques puisqu’il utilise l’IA Watson d’IBM, qui a fait ses preuves dans la compréhension du langage naturel et dans la gestion des dialogues. Les performances de CIMON sont encore loin des assistants que l’on peut trouver dans les films de science-fiction comme HAL 9000 de 2001, L’Odyssée de l’Espace. Cependant, l’évolution des performances des assistants est un objectif dans la conquête spatiale pour comprendre et prédire les besoins de l’équipage, analyser leurs émotions, leur santé mentale ou encore prendre de bonnes décisions en cas d’urgence.

L’astronaute Luca Parmitano converse avec CIMON à bord de l’ISS. Source : Youtube

Les défis de l’IA dans la conquête spatiale

L’ensemble de ces différentes utilisations de l’IA dans la conquête spatiale permet de montrer le vaste éventail de possibilités et d’opportunités permises par les avancées technologiques. Cependant, l’utilisation de l’IA induit également des interrogations pertinentes concernant les risques potentiels. Sans en arriver à des cas extrêmes, comme le volte-face des assistants contre l’équipage dans de nombreux films, certaines inquiétudes sont imputées à l’IA, comme un manque d’explicabilité. En effet, les algorithmes deviennent de plus en plus performants, mais aussi de plus en plus complexes, ce qui peut réduire la compréhension de leurs décisions.

Or, les montants financiers astronomiques des missions touchant au domaine spatial risquent de freiner les investisseurs qui vont privilégier la sécurité des techniques plus classiques. Ainsi, il est nécessaire d’améliorer la fiabilité et l’explicabilité des systèmes d’IA actuels pour accélérer leur déploiement dans ce domaine où la moindre erreur n’est pas envisageable. Les systèmes futurs vont probablement intégrer progressivement de plus en plus d’IA en trouvant un équilibre entre les méthodes à très fort potentiel basées sur l’apprentissage profond et les méthodes plus traditionnelles assurant une plus grande sécurité.

D’autre part, la progression plus lente de l’IA dans l’industrie spatiale s’explique également par des raisons plus techniques. En effet, il est beaucoup plus difficile de tester les nouvelles technologies en conditions réelles afin de les optimiser, ce qui entraîne des difficultés particulières pour les techniques d’IA apprenant à partir de situations précédentes. L’amélioration des systèmes existants et l’obtention de plus de données provenant des nouvelles missions spatiales représenteront de grandes opportunités pour la conquête spatiale, dont le futur est difficilement imaginable sans un recours important à l’intelligence artificielle.

Cet article est extrait du magazine ActuIA. Afin de ne rien manquer de l’actualité de l’intelligence artificielle, procurez vous ActuIA n°16, actuellement en kiosque et sur abonnement :

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